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Ecrits

Les écrits, ordonnés par ordre chronologique, sont accessibles directement ici :

Le site remercie les amis de Jef Gravis pour les textes réunis à la suite.

The writings, arranged in chronological order, are accessible directly here (no English version):

The site thanks the friends of Jef Gravis for the texts gathered afterwards.
 

Les livrets des trois spectacles de rue, 1976-1982

Une boîte à images s'ouvre lentement... Des maisons, des paysages, des personnages, apparaissent et disparaissent en une trentaine de tableaux (1 m x 1 m) dessinés et peints sur un écran de toile qui se déroule au fil du conte...

Les comédiens racontent, chantent et miment les épisodes de l'histoire à l'aide de costumes, chapeaux, marottes, instruments de musique, tels que : accordéons, guitare, percussions, sifflets et autres ustensiles sonores de notre quotidien.

Les thèmes musicaux empruntent aux différents folklores du monde entier et illustrent les périples internationaux de Trinquinette la poupée voyageuse.

Cette poupée pas comme les autres part à la recherche d'un vélo pour son ami Charlie. Pour cela, elle va faire le tour du monde et rencontrer des personnages tantôt familiers, tantôt étranges et oniriques...

Ce spectacle d'une heure environ peut se dérouler en extérieur ou en intérieur. Sa régie extrêmement souple lui permet de s'adapter à tous les lieux (salles de fêtes, bistrots, écoles, placettes, rues piétonnes, parc, etc.).

Créé en 1976, il a été représenté entre autres à : Festival du Marais, tournée Rhône-Alpes, Festival de Prades, rues piétonnes Thonon les Bains, Festival Folk de St Florent, Fête écologique Paris, arbre de Noël Villiers sur Marne...

Livret Les aventures de Trinquinette

Mais monsieur le marin je sais faire des tas de choses... lire dans les lignes de la main, prévoir le temps, repérer les navires dans la brume et sentir l'approche des icebergs... Vraiment !.. Dis moi quel temps on aura demain matin car la "surprise des mers" doit appareiller à l'aube... C'est ainsi que Trinquinette s'embarqua pour le tour du monde à la recherche d'un vélo pour son ami Charlie... Max cuisinier du bord (mot manquant), il vole les précieuses...

SPECTACLE ANIMATION

Pour tous contacts

TEL : JEFF : 370 88 73

         YVES : 533 70 48

Prospectus Les aventures de Trinquinette

La magnifique cave de la Grange-aux-Dîmes était animée samedi soir d'une façon toute particulière. En effet, ce splendide caveau aux voutes majestueuses servait de cadre à un spectacle continu intitulé "Le nuage à roulette". Ce spectacle de bandes dessinées sur toile fut fort apprécié. Pendant toute une partie de la soirée, une foule de visiteurs prirent place aux alentours de la scène.

Article Les aventures de Trinquinette

Deux grandes manches ouvrent lentement une boite à images : une trentaine de tableaux dessinés sur un écran de toile qui se déroule au fil du temps ; c'est l'histoire d'Arémis racontée en images, mimée et chantée par deux comédiens et un musicien...

Arémis, petit, myope et rêveur, dépouillé de son pull over rouge par le fameux gang du cours moyen, se réfugie dans le métro de New-York !

Il y restera 121 jours, dans une grotte creusée dans le béton.

Il y rencontre Billy Jo, le cow-boy de la rame 7222 qui rêve d'être berger dans le Far-West australien et Melody Métro, la serveuse du milk-bar qui elle espère devenir chanteuse de podium.

Mais le maléfique génie du béton "Mister Fantôme", maître des lieux souterrains, et Ratito, son acolyte, essaieront de le chasser de son domaine.

Arémis vous conduira au coeur même de sa grotte et de ses rêves...

Ce spectacle créé en 1979 a été représenté entre autres à : Amiens (fête de la ville), Grenoble, Broyes (fête du château), Chauvigny ville haute...

Conditions techniques :

- durée d'environ 50 min

- pour enfants à partir de 8 ans... particulièrement apprécié des adolescents... et même des adultes

JOELLE BEAUFRERE (MELODY) ET JEF GRAVIS (BILLY) VOUS CONDUIRONT DANS LE PREMIER METROPOLITAIN ORCHESTRE PAR JEAN PIERRE CHATY

Livret Melody Métro

Ah ! que la vie est cruelle

Aux musiciens des ruelles

Son ami, so, compagnon

C'est l'accordéon...

Non, ce n'est pas un poème de Racine ! C'est le cri de la rue, la rue de Paris, petit musée de la vie quotidienne, avec ses tableaux vivants, qui s'animent et disparaissent comme ils sont venus, avec ses poèmes et avec ses chansons... Après, la mémoire fait le reste. Rappelez-vous... La rue de notre amour, La guinguette a fermé ses volets, Quand je danse avec le grand frisé... Paroles et musique : le noir se fait dans la salle, un, deux, trois, quatre... Le pianiste entame une valse à trois temps, des rues, des maisons, des personnages apparaissent et disparaissent sur un écran qui se déroule au fil des chansons.

Les artistes à "boîte à images" produisaient des spectacles dès le 18ème siècle dans les rues et les fêtes. L'Eidophysicon fut un ancêtre de ces divertissements.

Dans ce spectacle "SOUVENIRS DE PARIS", les interprètes racontent ce qui se passait sous les ponts de Paris avant la crue qui faillit noyer le zouave du pont de l'Alma, ce qu'il advint de la petite Lily, de son amant, un rôdeur de barrière, et bien d'autres histoires en chansons, qui vous feront frémir, sourire, peut-être pleurer...

Jef GRAVIS et Jenny QUEGUINER ont joué et animé plusieurs spectacles depuis trois ans : Les aventures de Trinquinette, spectacle tiré du livre de Pierre GRIPARI "Les contes de la rue Broca", Melody Métro spectacle mixte ayant pour la vie américaine (sic).

Livret SOUVENIRS DE PARIS

Spectacles de rue, 1976-1982

AcApA

Association du Centre d'Art Plastique d'Angoulème

livret pour l'exposition du 7 au 28 février 1983

Note : le livret de quatre pages 36 x 27 comprend des illustrations originales de Jef Gravis (voir section Expositions) et en intérieur le texte ci-dessous dont l'auteur est invité à se faire connaître.

                    Parler de Jef Gravis, c'est revenir dans le présent. Un présent dont l'âge d'or n'est qu'une liberté" de ton, de relation, au-delà de ce qu'autrui renvoie à soi-même dans la marge tremblée d'une tendresse inaccessible. Renvoyer de l'un à l'autre, l'un et l'autre constituant les vigies d'une réalité, réalité matérielle, réalité du jeu ; dormeurs, saltimbanques, équilibristes du désir, souffrances, terme. Il faut parler du théâtre. C'est à dire du lieu qui emmène tout être et toute chose dans sa dépendance inoccupée, au centre sans cesse surgi dans d'autres temps.

                    Ami des fantômes, entouré de leurs histoires, complaisant à leurs plaisanteries, fidèle à leur destin, Jef Gravis participe de leur incohérence, de leurs contradictions et de la révélation poétique à travers les lieux qu'ils hantent, de ce pressentiment et de cette voyance sans lesquels nous ne serions que ce que nous sommes dans un monde qui n'est rien. Théâtre des éclairs et de la brièveté. Scènes où les gnomes ont tout pouvoir, nous tendent les bras et où les déguisements sont la verrerie du coeur. Partitions d'apparats, cérémonie du quotidien, faste de la joliesse et de la drôlerie. Comédies, gestuelles, peurs ? A l'intersection du doute et de la rêverie, bateleurs et magiciens réunis. Dévider l'écheveau des frissons. Théâtre encore, où l'enfance est une perfection et que le commentateur, l'adulte, brise aussitôt. Pièces du monde où les rencontres s'apprécient à leur nature extatique, aux grandeurs, aux énigmes, aux brèches indiscutables.

                    La réalité, puis la survivance du jeu politique, de la jouissance esthétique, caractérisées par les causes et les conditions des événements de 68, trouvent un écho particulier, toutefois sans modèle, à travers les capacités de Jef Gravis à organiser les scènes de sa vie, à louer un personnage, à utiliser le coloris social comme une palette de la conscience.

                    A certains accents, à certains timbres - et les pièces, les assemblages, les coffrets, les bandes, les bas-reliefs qu'il conçoit recèlent la vivacité, la promptitude, la marque d'un spectacle et d'une intervention de rue - on est inévitablement convié à penser, à réagir à travers les modifications de l'expérience, à définir l'objet de l'esprit par les sens du corps.

                    La vie est toujours ce décor saisissant qui demande à être applaudi, approuvé, changé, nié selon les dons et les capacités de chacun, selon la persistance de la réalité physique et sociale, selon l'arbitraire du moment. Jef Gravis cerne une iconographie du quotidien. Il insère toute activité créatrice dans les grands ensembles synthétiques de l'existence journalière : places publiques, réseau métropolitain, entourages, fêtes, emblèmes, allégories se subordonnent à la lumière peinte, à l'illusion, aux figures représentées, aux choix des points de vue, à la mise en scène et au cadre ornemental où toute présence réelle devient l'hypertrophie d'une nouvelle orchestration du temps et de l'espace. Sa démarche consiste en autant de chroniques du réel, attendu que le réel reste toujours un fragment de la partie non vue, non écrite de ce que nous désirons. Et comme il porte témoignage d'une époque, la nôtre, pour la simplifier, la fausser, la rejeter, l'accumuler, nous ne saurions être en possession d'un système de références pour situer cette ordonnance du monde sensible, cette histoire assortie de contestations et de réserves qu'il singularise. Nous devons simplement nous abandonner à un centre d'action corrosive, à une nostalgie de l'humour qui notifie en nous la réalité que nous rencontrons.

                    Depuis plusieurs années, Jef Gravis a organisé des spectacles de rue, vécu d'expédients, vérifiant dans l'insécurité matérielle l'impact de sa pensée et cherchant à travers des publics improvisés les signes nouveaux d'une communauté plus disponible, plus extériorisée, plus ouverte aux hasxards qui la constituent. Il intervenait encore dans les écoles publiques, se nourrissant de la vision enfantine du monde pour articuler la vie culturelle naissante à la magie de l'activité onirique. Mails l'aménagement social ayant officialisé et multiplié ce genre d'interventions, Jef Gravis devait revenir à une activité plus intériorisée, plus occulte, à celle que les peintres, les artistes ont toujours vécue isolément.

                    Dans son atelier à Paris, rue des Pyrénées, l'image éparse de ses expériences se forme et se déforme au gré d'une aventure en trompe l'oeil qui se rit d'elle-même. Les éléments du voyage intérieur, banquises de couleurs et de formes au milieu d'un océan d'informations s'unissent dans la même tonalité affective. Artefacts, valises peintes, recélant des objets de prédilection, quai d'une station de métro où le fétichisme n'est plus que le reflet d'une ironie inconditionnée, vie souterraine balisée par les parfums, par les attitudes, par les sourires, publicités hallucinogènes sur la paroi sans fond de la rêverie, entremêlements des solitudes et des fantasmes, des déchaînements, de la mélancolie.

                    Depuis longtemps, à maintes reprises, le monde de l'art a été désacralisé. Il ne restait plus qu'à désacraliser le monde de la vie. Jef Gravis ne s'y emploiera pas, dont toute l'activité, baladin des apparitions, pourrait se résumer par cette phrase de Guy Debord : "Nous vivons en enfant perdu nos aventures incomplètes". Les femmes qu'il regarde sont belles parce qu'elles font sourire, de ce sourire qui s'étend de l'enfance à l'âge adulte et qui recouvre un monde d'espoir et de désillusion. Les objets quotidiens qu'il détourne, qu'il compose n'ont plus d'autre fonction que celle de nous rappeler à eux par leur évocation poétique. Les couleurs ne disent pas tant à une stabilité émotive qu'à une exacerbation des sens. "La mémoire du chien" vaut celle des hommes. La jupe un peu trop courte d'un personnage féminin qu'il peint dans des tons fortement engageant révèle davantage le mystère du jeu sexuel que le jeu lui-même. Les êtres naissent, passent, vieillissent avec la même tendresse, la même inexactitude. Les retards, les avances s'accumulent. Un bâton de rouge à lèvres, un mouchoir agité troublent d'une note singulière l'indifférence rêveuse de la multitude. Cette multitude au sein de laquelle i s'agit de vivre et que nous assortissons de la gamme particulière de notre individualité.

                    Physionomiste, caricaturiste, aventurier, l'activité de Jef Gravis ne se confond avec aucun plaidoyer idéologique. I ne thésaurise ni les habitudes, ni les influences. Il n'est pas davantage le défenseur d'une marginalité quelconque parce qu'il me semble qu'il ne croit guère à l'idée d'objectivité. Il défend une certaine carnation de l'humour et du libre arbitre au-delà de laquelle la nécessité serait un miroir sans tain. Monde de mannequins amusants de caricatures ? Théophile Gautier dit un hour : "Tout poète a eu le malheur, une fois dans sa vie, de tomber amoureux d'un automate et il faut bien s'en consoler."

                    A cette consolation, ajoutons l'autonomie d'humoriste qui confère à l'automate, aux fantômes, aux personnages que nous sommes - comme l'acuité de Jef Gravis le fait découvrir - l'immense capacité de nous séduire, de nous dédoubler, comme de nous oublier. Peindre sur les portes, sur les murs, sur les objets manufacturés, rêver la matière dans son volume, son épaisseur, sa résistance, former des figures, composer des mesures, faire des événements les anagrammes du corps et de l'esprit, c'est créer un langage qui s'adresse autant au toucher qu'à l'entendement, c'est se perdre dans l'usage pataphysique d'un espace pluridimensionnel, c'est ne plus se différencier de l'intuition mais se confondre avec le moment de son étincellement. Car, ou notre liberté de mouvement définit tôt ou tard un statut - celui du peintre ou n'importe quel autre - ou notre refus de tout statut définit notre liberté de mouvement. Dans ce dernier cas, les conventions elles-mêmes deviennent un jeu. Jef Gravis les met en scène. Du lever au baisser de rideau, la société du spectacle est mise en déroute. L'étrangeté de la vie garde son secret intact.

                    Conquêtes, convoitises, proscriptions, art de l'existence de gêner et de succéder, trafic de l'imagination, des hypothèses et de l'état des choses, avenir soufflé au milieu des grans projets, cosa diabolisa, indulgences, frayeurs, présences déguisées qui fuient dans la nuit, armée des attirances, des fascinations, élégie de l'intérêt général et des perpétuels souvenirs, il n'y a aucun remède au nombre, à la personne, aux dangers intérieurs et extérieurs auxquels les hasards nous prédestinent. La vie est réservée à elle-même, funeste aux faibles, permise aux forts, rayonnante, sans éternité, et dans ses murs, ses soubassements, dans ses miroirs, reflète l'irréversible turbulence du temps. Le moindre objet devient épreuve, talisman, vecteur sensoriel, échange. Une certaine manière de tendre la main ou de prendre congé du monde répète l'archaïsme d'un mouvement humain multiple et fidèle qui crée juste la mesure de la vie. L'histoire s'abîme dans les rêves quotidiens et les habitants de ces rêves cherchent toujours une raison de persévérer dans leur être.

AcApA février 1983

AcApA, février 1983

JEF

article de Thierry Defert dans la rubrique RUMEURS D'HUMEURS du magazine ZOOM, 1983.

Jef a de la lumière plein les yeux et Janny (sic - au lieu de Jenny) sa compagne la voix inondée de soleil. Jef est imagier, Janny chante. Un jour, il a fabriqué des rouleaux peints illustrant des complaintes de rue, et ils s'en sont allés parcourir et animer les carrefours et banlieues de l'immense Mexico. Depuis cette aventure mexicaine prolongée en Californie, ils n'ont cessé de fêter images et liberté. Cette liberté, Jef Gravis l'exprime dans des endroits qu'il est le seul à trouver, à travers cent spectacles, animations, expositions qui peuvent se résumer dans le titre d'une de ses expos : "Cocktail artistique". L'année 83 l'a vu accrocher : "Sous paradis" ou la photo perdue à Strasbourg, "Un jour à la mer" au Lieu d'images à Paris ; au Musée de l'Affiche ; "Le Musée a le ticket", et à l'Association du Centre d'Art Plastique d'Angoulême des peintures et des dessins. Sur le programme, ce proverbe Ting : "Quand l'idée est au bout du pinceau, pas la peine d'aller au bout de l'idée". Ne jamais rater l'un de ses shows !

Allô Jef : 205.77.10

Thierry Defert - ZOOM - vers 1983

Cocktail artistique, 1983

Conversation par M. Shön

sur Monsieur Jef Gravis présent

et autour d'une exposition

dans l'esprit du temps

article de P.V. sur l'exposition au CAC Jean Renoir à Dieppe en 1984 (15 février au 1er avril).

Note : l'article est illustré par la peinture d'une femme à tête de chat assise avec son chien sous titrée Charmant n'est-ce pas ? (voir page Eros)

   Je ne sais s'il y eut plus de refus de l'oeuvre d'un artiste exposé au Centre Renoir que pour Jef Gravis. Le livre d'or abonde d'injures anonymes et de rejet systématique. C'est le sort souvent des expressionnistes qui agressent parce qu'ils touchent de près le monde qui nous tient pour en presser le jus. Jef Gravis, et ce n'est pas d'hier, respire l'air de son temps. Il n'est pas enfermé dans son atelier devant les natures mortes ou sur le chevalet à ressasser des paysages bucoliques. C'est un rat des villes : il connait le métro, la télé, les murs bariolés d'affiches, les gueules des gens et la sienne. Et Jef Gravis nous les montre parce que le rôle de l'artiste c'est de montrer ce que le commun des mortels n'a pas le temps de regarder ou subit. L'artiste absorbe, filtre, tire, souffre avec et éjecte. Gravis le fait avec violence ou tendresse selon les jours. Avec humour toujours, sinon on crève sur place. Avec éclat parce qu'en ville il faut crier pour se faire entendre.

   Le soir du vernissage, Shön le clown, ami de Jef Gravis, dans un sketch, a montré par le rire comme cette peinture "actuelle" lasse des "biches au bois" redondantes et des "chefs-d'oeuvre" poussiéreux, servait à décrasser l'oeil quotidien du spectateur que nous sommes. Jamais Shön n'a cité directement Gravis, à peine Marcel Duchamp - humour exige - car l'art de Jef Gravis, s'il est regard personnel bien sûr, s'inscrit plus fort dans une démarche collective de refus des faux-semblants, des hypocrisies, de l'aveuglement devant les réalités, celle de la vie, celle des médias.

P.V. - Journal inconnu - 1984

CAC Jean Renoir, 1984

Palais de l'Acropolis

Note : deux articles traitent de l'exposition de 1987 dans le cadre du festival d'humour de Nice.

Le premier article est paru dans le magazine l'Echo des Savanes (pages 90 et 91). Il est accompagné d'articles sur des sujets d'actualité érotiques : LES JAPONAISERIES DE CORINNE LESCOP, L'ENRAGE BRUNO RICHARD (page 89), LE SEX-SHOP DE DIX 10 (page 90) et LES VIERGES DE SPEEDY GRAPHITO (page 91) et suivi d'une planche de la série "Le point du jour" de Ben Radis et Dodo (page 92). L'article est illustré d'une peinture érotique et d'une photo de Jef Gravis en peignoir japonais avec deux femmes.

Le second article est paru dans le magazine ZOOM, rubrique Rumeurs d'humeurs. Il est illustré d'une peinture de la série "Coiffeur pour dames" (voir page spécifique) et de deux affichettes créées pour Agnès B (voir page Eros).

LES FANTAISIES DE JEF GRAVIS

article de l'Echo des Savanes en 1987

Jef Gravis est un vieux singe auquel on n'apprend plus à faire la grimace. Il raconte carrément : "L'année 54 est celle de ma puberté, celle où l'art m'est apparu comme le substitut de l'acte sexuel. Quand je suis sorti de chez les scouts, je me suis intéressé aux graffiti des toilettes après les cours d'anatomie de l'école des Beaux-Arts." La ravissante Carole est là pour l'enjôler tandis que la geisha-muse prend la pose dans son atelier. Jef Gravis est un clown que le sexe amuse. "Sex is beautiful" est l'une des séries qu'il prépare pour le Festival de l'Humour de Nice. Vous avez ici le premier échantillon estampiné.

L'Echo des Savanes - 1987

NICE !

article de Thierry Defert dans la rubrique RUMEURS D'HUMEURS du magazine ZOOM, 1987.

Véritable patchwork du Bateau-Lavoir grande époque et des lofts warholiens du sud Manhattan leurs ateliers regroupés rue de Bagnolet sont accrochés aux murailles du Père Lachaise. Ce sont les trois artistes que le festival international "fait l'Humour !" doit accueillir à Nice du 23 au 30 mai (...) nos trois plasticiens proposent "Paris monte à Nice". Jef Gravis présentera "Coiffeur pour dames", un lot de 20 sérigraphies (120x70 cm) représentant des êtres humains devant les délices de l'art capillaire. Oeuvres en noir et blanc, peintes, détournées, retournées, décolorées en brushing ou en permanente ; mais aussi "Dix petits Indiens", grands totems constituant un camp d'Indiens modernes. "Miss Liberty", "Sex is beautiful", un ensemble de peintures format 65x50 mises sous verre car destinées aux appartements bourgeois, aux repaires secrets (genre Enfer de la Nationale), aux sous-sols aménagés, aux alcôves d'émirs saoudiens et autres lieux de plaisirs ; "Fards et attrapes", le maquillage féminin où il se fait et comment il se fait (petits formats 40x50 cm et variations sue thème), ça donne des yeux charbonneux, des rimmels dégoulinants et des lèvres bien saignante. "Vingt pièces sur papier, pas du kleenex, du bon Canson bien sûr !". Et, enfin, "Rita Mitsouko-Le Clip", une grande peinture sr toile illustrant un des couplets de la chanson "Marcia Baïla".

Thierry Defert - ZOOM - 1987

Palais de l'Acropolis, 1987

Jef Gravis : le sourire froissé

Tendre malicieux, Jef Gravis expose ses "Signes de tête" à l'Artothèque d'Angoulême

article de Frédérique Georges pour la Charente Libre, mars 1988

Il peint depuis dix ans et se renouvelle depuis 50 ans. Jef Gravis vit et travaille à Paris, comme "un provincial exilé". Aujourd'hui, il expose à l'Artothèque d'Angoulême, quelques jours avant le Grand Palais. Masques en volume, papier en matière.

De renouvellement en renouvellement, Jef Gravis est arrivé à 54 ans, avec un regard d'une clarté éprouvante. Il saisit la lumière et la renvoie en deux sourires avec candeur. Comme s'il en ignorait la portée et la force.

Ses paroles provoquent la même émotion, comme ses coups de couleurs. Quelques jours avant une exposition au Grand Palais à Paris (Mac 2000), il expose à l'Artothèque, au premier étage de l'Hôtel Saint-Simon à Angoulême. Lors d'une précédente présentation en 1983, les Charentais avaient déjà entendu sa malice. L'homme racontait alors des anecdotes qu'il qualifiait d' "émotions domestiques". Il s'agissait d'histoires, d'éclats fugitifs de vie à écouter autant qu'à regarder. Le fil guidait. La narration était de mise. Les détours en demi-teintes vives témoignaient des instants.

S'enfoncer dans la matière...

Il dit lui-même, "j'étais dans la mouvance figuration libre". Et puis, le goût du thème est passé. Inévitable lassitude, il a fallu se débarrasser de la signification trop évidente. "Cela crée un écran devant le spectateur", et le sujet s'impose au regard. Alors qu'il faut justement le laisser s'évader. De ce constat est venue la rupture.

Celle qui provoque le renouvellement... "J'ai besoin de cette évolution qui est souvent provoquée par des rencontres". Inévitable encore.

"Maintenant", je veux moins raconter pour simplifier encore le trait. Je n'aime pas cultiver un genre même si j'aime faire des déclinaisons - et non des concepts - au sein desquelles mes nouvelles idées servent de contrastes pour aller vers des lignes plus épurées".

L'exposition angoumoisine le prouve, il s'est penché vers plus de sobriété, vers un trait plus abstrait. Tout en conservant l'humour de ces masques forains qu'il affectionne. "Maintenant, je mélange les genres. Je traite encore de la figure". De la figure comme prétexte pour aller vers la non-figuration, Jef Gravis s'enfonce dans la matière tout en cultivant un nouveau dépouillement.

Froissements de figures

De grands visages humains en surgissent. De grandes têtes dont les plis laissent parfois deviner un regard. "C'est un froissement de figures...". En volumes, quelques masques. Métal, bois, plaques d'offset, peinture. L'ensemble est trituré, martelé, déchiré. Une évidence, "c'est la vie". Mais le sourire demeure. Envers et contre tout.

Comme symbole de ce perpétuel renouvellement, comme ces quelques mots, hors de toute sentence : "l'art consacre la mort d'une habitude, l'artiste se charge de lui tordre le coup". Tout cela dit devant un verre, entre deux sourires. Outre les masques, le peintre investit encore le papier. En petits formats, en monotype qu'il rehausse ensuite de pastels gras pour les tamponner à l'huile blanche. Transparence...

Et encore, les plus grands, sur lesquels la matière apparaît plus rugueuse. Brute. Maîtrisée dans l'épaisseur. O y retrouve u peu de la chaleur des années cinquante, Fautrier, De Kooning, Bram Van Velde, Dubuffet... En conclusion, "je laisse plus de place au hasard, comme ça, je prends plus de risque".

Sur les murs de l'artothèque, ses oeuvres lui ressemblent. A l'apparence légère et douce, elles suggèrent un autre regard. L'ensemble s'intitule "Signes de tête", comme autant de messages. Comme beaucoup de plaisanteries. Celles qu'il fait en permanence, peintre du dérisoire, homme aux mots tendres. car Jef Gravis cultive son humour selon l'instant et dispense ses éclats de rires selon les regard. Et il poursuit tranquillement son chemin d'artiste, son "aventure individuelle".

Frédérique GEORGES - Charente Libre - Mars 1988 ou 1989

Signes de tête, mars 1988
Palimpseste Laotien, 1993-1994

Palimpseste Laotien

textes de Jef Gravis, kakémono 1993 et livre d'artiste 1994

 

Note : le texte reprend les textes originaux du kakémono et du livre d'artiste. Les écarts de la version livre d'artiste sont signalés en italique.

Jef Gravis

Palimpseste Laotien

L'Atelier

 

A Rose-Line

Carte du Laos

Les Quatre points cardinaux disent : le temps faste est arrivé...

Des enfants avec des cerf-volants courent sur les berges du Mékong, un échassier se pose dans les roseaux et le jour va s'évanouir pour céder la place aux lueurs des feux d'ordures et aux éclairages domestiques...

Au Laos, on dit : "BO PEN GNIANG" pour signifier que tout est fluctuant, imprécis comme les rendez-vous chez la coiffeuse de la rue Samsenthai ou les humeurs du Grand Fleuve. C'est la lune qui décide de la date des semailles et du choix d'un rendez-vous galant...

Ce palimpseste de papier, dont les traces dessinées, effacées, réécrites attestent des mouvements du voyageur et de l'incertitude du temps est un rendez-vous amoureux avec ce pays que j'ai eu la chance de rencontrer une deuxième fois. (uniquement sur kakémono)

 

Mae-Kong Mère des eaux, qui a porté les navigations fondatrices, du delta aux montagnes du nord.

Aux quatre points cardinaux. (uniquement sur kakémono)

 

Comme le Jaune émerge du noir.

 

Jaune la plus divine

Bleu face de saphir du Mont Mru

Rouge fils de la destinée noués dans le ciel

Noir mort du soleil.

Ecrit sur le feu

Briqueterie, km. 16 Route de Paksane

Briqueterie, dressée comme un château,

Argile puisée aux rives du fleuve

Argile que le feu va durcir et dure la brique qui va bâtir la ville.

De chaudron en étuve aux trois arômes

Herbes essentielles du jardin en décoction et vapeur d'eau

Au sauna du Vat Sok Pa Louang revivifiez les génies protecteurs.

La cîme de l'arbre n'atteint pas l'eau du lac (avant Ecrit sur le feu dans Sérigraphie)

Sur le lac réservoir de Nam Gnum les cîmes des arbres non coupés lors de la mise en eau du barrage affleurent et servent de balises au piroguier qui emmène le visiteur vers l'ile au milieu du lac.

Feu délivré des eaux

Près de Ban-Bo village saunier les fumées noires des fourneaux salissent de leurs volutes les blancheurs salines ; délivrance de l'eau de saumure par les feux de la nuit.

Au quatrième jour de la lune croissante

Pélerinage, liesse, attractions foraines au quatrième jour de la lune croissante du sixième mois c'est la fête, au temple du Vat Phu

monter vers la montagne du linga à travers la coulée claire des frangipanes

arroser d'eau lustrale les pierres sacrées

brûler des encens et baguettes de santal

étaient les gestes des fondateurs khmers que ces pèlerins de l'aube inscrivent cycliquement dans la mémoire

Vat Phu, Vat Phu ! (Phu se prononce pou) vous n'avez rien vu au Vat Phu !

Ephémère est la vie

...Le 9 août, je quittais Luang Phrabang pour visiter les districts à l'est et au nord de cette ville, toute cette contrée n'est qu'une interminable succession de montagnes et de vallées... Parvenu à seize cents kilomètres de l'embouchure du Mékong, je puis constater que ce fleuve vient de fort au-delà et sans doute des hauts-plateaux du Tibet.

Me sera-t-il donné de faire plus ?"

H.M.

Henri Mouhot, explorateur et naturaliste découvre les ruines d'Angkor en 1858 et mourut au Laos en 1861.

Le site publie l'extrait du voyage de Henri Mouhot qui se trouve à la place des ... du texte cité par Jef Gravis :

celles-ci se creusent de plus en plus ; celles-là s'escarpent davantage au fur et à mesure qu'on remonte vers le nord. Sur les sommets s'étendent d'épaisses jungles où retentit sans relâche le cri plaintif du gibbon, et souvent aussi le rajustement du tigre. Sur les pentes s'élèvent des futaies d'une essence résineuse, dont l'exploitation, industrie particulière du Laos, rappelle les procédés des résiniers des Landes. Enfin, dans les concavité du sol, où règne le climat torride, l'arbre le plus commun est le palmier lan, dont les feuilles, depuis des milliers d'années, tiennent lieu de papyrus, de parchemin et de papier aux poètes sanscrits et aux théologiens de l'Indo-Chine.

Le 15 août, par une nuit splendide, je vins camper sur les bords du Nam-Kan ; la lune brillait d'un éclat extraordinaire, argentant la surface de cette charmante rivière, que bordent de hautes montagnes comme un immense et sombre rempart. Le cri des grillons troublait seul le calme et le silence dans lesquels mon petit cottage était plongé. De ma fenêtre, je dominais un paysage ravissant, tout diapré de teintes opales ; mais depuis quelque temps je ne puis apprécier ces choses ou en jouir comme autrefois ; je me sens triste, pensif et malheureux. Je regrette le sol natal. Je voudrais un peu de vie. La solitude continue me pèse.

Il manque également les mots suivants après "je puis constater" :

par la masse énorme d'eau qu'il roule à travers les contreforts des grandes chaînes sur lesquelles s'appuie la péninsule indo-chinoise, que ce fleuve, loin prendre ses sources sur leur versant méridional comme l'Irrawadi, le Saluen et le Ménam, vient de fort au-delà...

Le texte complet du Voyage dans les Royaumes de Siam de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine de Henri Moulot est disponible ici (texte cité par Jef Gravis à partir de la page 364) :

JEF LAOS 93

Comme un étranger qui ne fait que passer

Jef Gravis

Palimpseste Laotien

est publié par l'Atelier

Le tirage est limité à 50 exemplaires signés et numérotés par l'artiste.

Chaque exemplaire contient 16 tirages couleur.

Quelques exemplaires marqués E.A. sont réservés à l'artiste. Ceux marqués H.C. sont destinés aux membres du Comité : Rose-Line Averbouch, Véronique Breton, Véronique Legendre et Renée-Christine Picabia.

Cet ouvrage a été tiré par les soins d'Eric Seydoux à l'Atelier, Paris.

Merci au Sphinx, à Jacques le Chevallier ainsi qu'à Edmond Janvier.

signé Jef Gravis

Jef Gravis Palimpseste Laotien - kakémono 1993 et livre d'artiste 1994

Feu délivré des eaux

article de Laurent Boudier pour Télérama, février 1995

 

Note : "Feu délivré des eaux" est le titre de deux expositions organisées à proximité de salines en France.

Le titre se retrouve en tête de l'article SEL du Dictionnaire des symboles (Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, collection BOUQUINS) très utilisé par Jef Gravis : "Les divers aspects du symbolisme du sel résultent de ce qu'il est extrait de l'eau de mer par évaporation, c'est, dit L.C. de Saint-Martin, un feu délivré des eaux, à la fois quintessence et opposition."

L'expression est issue du Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'Homme et l'Univers du philosophe Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803) : "On n'ignore pas que le sel, si convenable à nos aliments, était essentiellement recommandé dans les sacrifices, et qu'il a été, presque par toute la terre, le symbole de la sagesse.C'est que les sels en général sont des substances très instructives pour l'homme. Ils ne paraissent, que par la réunion de leurs différentes parties répandues dans les eaux qui les tiennent en dissolution, et en devenant par l'action du feu en général ou en particulier, autant d'unités actives, puissantes et dépositaires de toutes les propriétés qui se manifestent dans les corps. En un mot, le sel est un feu délivré des eaux, et les eaux ont un nombre si impur que les Hébreux n'expriment ce mot que par le duel maim. Ajoutons que si la préférence était donnée au sel marin sur tous les autres, c'est qu'il est carré sur toutes les faces, et qu'il a sept centres ; c'est q'il reçoit plus directement les influences supérieures par l'action de la lune sur les mers, et que son acide a moins d'affinité avec les métaux que les acides autres sels."

Le premier article porte sur la première exposition du 11 au 28 mai 1995 à la Chapelle des Capucins d'Aigues-Mortes.

 

Prolongement des voyages de Jef GRAVIS aux Salins et Salines du Laos, du Benin, de Guérande en France, "Feu délivré des eaux" constitue un extraordinaire carnet de voyage, enrichi sans cesse par la quête de l'artiste pour les rituels, la symbolique de la production du sel, la mémoire des lieux visités, la rencontre avec les paludiers, les saliniers d'ici et d'ailleurs.

- Peintures, dessins, travaux graphiques, pièces en volume - utilisation de matériaux naturels dans un raffinement de couleurs au goût rêche et subtil - l'Itinéraire pictural de Jef GRAVIS sublime le sel, ce si singulier minéral, qui depuis PLINE l'Ancien, n'a cessé de préoccuper les créateurs.

 

Jardin salé

Au seuil de la galerie, le jardin salé, paradis perdu ou rêverie du monde, déroule un tapis cristallisé que le visiteur peut arpenter et traverser d'une porte à une autre.

Des mulons de sel coloré ponctuent le plan horizontal, comme une mise en scène du réseau hydrographique du marais salant original.

Tables saulnantes

Le métal en oxydation colorise le sel suivant un échelonnement du temps (1er juin 1992 - 1er mars 1994).

L'action rubigineuse de l'acier sur le sel organise une palette de chimie ordinaire qui depuis toujours joue fugitivement avec les sens. L'instant et le devenir sont suggérés par la transformation inéluctable de matériaux archaïques détournés de leur usage séculaire.

L'installation des tables saunantes se fait suivant un tracé octogonal, le nombre huit étant celui de l'équilibre cosmique et le nombre de vingt-quatre correspond aux dates de mise en emboîtage du sel - 24 mois.

Palimpseste laotien

Tel un éventail se dépliant hors d'un coffret, le carnet de voyage (Kakémono) dessiné, effacé et repeint sur du papier déroule la mémoire de la représentation des lieux révélateurs de l'itinéraire de l'artiste au Laos (février 1993) et en particulier des salines de Ban Bo, genèse de l'exposition "Feu délivré des eaux".

Oeuvres peintes

...Ses peintures et dessins abstraits portent des titres comme Oula-ko, Ban Bo, ou Sole, Mari, Vento. Jolis mots énigmatiques inspirés à l'ariette par ses voyages au Laos, au Bénin et en France sur les sites salins. Le sel du travail de Jef GRAVIS tient de la légèreté et de l'élégance : écritures enjouées, subtiles compositions aériennes qui laissent affleurer sur le papier les impressions d'un regard aux aguets.

Laurent BOUDIER, Telerama, février 1995

Réponses de Jef Gravis à douze questions de Pascal Letellier, à propos de ses oeuvres au sel, avril 1995

 

Note : le texte figure en tête du livret de la deuxième exposition "Feu délivré des eaux", du 28 juin au 31 août 1995 à la Galerie des Franciscains de Saint-Nazaire. Les questions de Pascal Letellier sont marquées en gras, comme dans le livret.

Pascal Letellier. C'est en voyageur que tu as "rencontré" le sel au Laos. Quand tu parles de ce peuple de ce peuple saunier, les mots que tu emploies sont ceux de l'ethnologue. Cependant cette découverte a profondément marqué ton travail d'artiste. Comme si tu avais exploré là une nouvelle contrée sur ce territoire salicole dessiné entre Guérande, le Bénin, Aigues-Mortes, suivant des points d'équilibre entre des énergies premières "émergentes" : ces petits cônes blancs très purs qui ponctuent l'espace partout sur la planète.

Jef Gravis. Cette découverte du sel au Laos s'est produite en 1992. Elle est liée à la rencontre d'un ingénieur des Travaux Publics résidant à Vientiane, et aussi à la lecture d'un article de Charles Archambault "Une cérémonie en l'honneur des génies de la mine de sel de Ban Bo (Moyen Laos). Ce village saunier de Ban Bo avait tout pour exciter ma curiosité : pompage d'une nappe souterraine d'eau salée, chaudières alimentées en bois exotiques, bacs parallélépipédiques en tôle d'acier pliée pour l'ébullition de l'eau de saumure, fils électriques tirés entre les paillotes, suspendant de rares ampoules...

Quand aux Laotiens vivant sur le site, leurs attitudes physiques m'évoquaient les personnages des fresques du Musée de la porte Dorée, peintes en 1930 à la gloire de l'Etat colonial français... J'étais loin de penser à une internationale saulnière, salicole ou salifère (les paludiers de Guérande ont monté le projet Pirattes en 1991, projet d'exportation du savoir-faire breton au Bénin !).

Il n'est sans doute pas neutre que tu aies rencontré ces gens-là au Laos. Les travaux que tu as ramené de ces confins sont chaergés de mystique... Cependant, chez les sauniers, c'est le labeur, les outils et l'organisation du travail qui semblent t'avoir ému. Quelle relation entre cette attitude plutôt contemplative et ce sentiment vraiment concret d'un dur travail de "forçat" ?

Bouddhistes, les Laotiens vivent néanmoins dans une démocratie populaire. La production de sel est un monopole d'Etat depuis 1975. Les sauniers de Ban Bo ("village des puits") hommes et femmes de toutes générations travaillent en famille. Le rudimentaire de l'outillage le dispute à la simplicité des équipements. Seuls l'électricité fournie par le barrage voisin, les camions soviétiques, les hauts-parleurs diffusant de la Pop'Lao et les sacs plastiques semblent porter la marque de l'industrie... Pour répondre à  ta question de la relation entre le sacré et le travail, je réponds que l'émotion que j'ai ressentie dans ce lieu a été celle d'un diable blanc parachuté dans un enfer à la Jérôme Bosch, peuplé d'anges gracieux et moqueurs, actifs au labeur, marqués parfois des signes de l'enfermement autarcique. Le sacré, je l'avais cherché à l'intérieur des temples laotiens, lieux de sérénité où l'on prie assis pour y sentir sa force.

Au village de Ban Bo, on dit que dans le temps les génies de la saline avaient leur demeure, maison sur pilotis ou "Ho Bo" mais depuis l'exploitation intensive des puits salés, l'extraction commence dès le douzième mois sans tenir compte des rites !

Aucun rite attaché à ces pratiques ancestrales ?

Mais si ! Le sel, en effet, n'est pas seulement d'un usage alimentaire. On l'emploie, entre autres, dans les rites liés aux accouchements ou à l'inauguration des maisons dans la Cérémonie du "Grand Serment", par exemple, pour écarter les mauvaises influences ou assurer la prospérité.

Déjà cette idée de "délivrance" ! Le sel est résiduel et résulterait en quelque sorte d'une cosmique opération chimique. Il sort là du sous-sol comme un pur minéral, et tu insistes sur cette relation à la terre ; relation colorée et métaphorique. En tant que peintre, quelle peut être la part du sel dans ton travail ?

Résiduel, oui. "Feu délivré des Eaux" est plus métaphorique car cette alchimie élémentaire de création du sel provoquée par le soleil ou le feu implique l'idée de délivrance ou de naissance cosmiques. Mes voyages aux salines, catalyseurs d'imaginaire, ont alimenté mon travail de plasticien en termes de chromatisme, de fluidité et de signes graphiques. Motifs géométriques du cône (mulons de sel), de la sphère et de l'ogive (calebasses et paniers), lignes et courbes en réseau maillé (hydrographie du marais).

Mais la matière elle-même semble t'avoir fasciné. Le mélange du sel et de l'eau en ébullition, la fumée. En quoi cela rejoint-il la pratique de la peinture et de l'émulsion ?

Ces lessivages successifs de couleur - évocation des résidus blanchâtres collés aux parois des cuves - déposent sur la toile des transparences qui, par strates successives, constituent le corps même du tableau. Les apports graphiques ajoutés en surimpression agissent comme des lignes de force structurantes.

Le sel est lié à l'idée du voyage et du commerce. Avec cette idée, intervient celle de la mesure, d'une certaine forme de géométrie et d'ordre... Quelque chose de rationnel. On pense aux marais salants bien sûr, mais la valeur est aussi dans la "technicité " du sel. Il y a là-dedans quelque chose d'une "science naturelle" un peu comme dans l'apiculteur aussi. Avec le sel, ton atelier s'est un peu transformé en laboratoire. Tu y fais des expériences, tu construis des petites machines (ces tables saulnantes)... C'est aussi la première fois que tu as recours à l'installation pour développer un Thème. Pourquoi un tel dispositif tout d'un coup ?

Après le voyage, vient le temps de la réflexion et de la production d'oeuvres-au-sel délivrées des eaux. Alors, dans le processus du travail, j'utilise d'un côté le minéral singulier (gros gris Atlantique, cristaux blancs du Midi) sous forme de tables saulnantes et d'installation (Jardin Salé) et en contrepoint, je réalise des peintures et travaux sur papier : mémoire des salines visitées. J'ai cherché à enrichir mon travail par une recherche sur l'espace, la matière et le temps, en souhaitant impliquer le visiteur. Les tables saunantes, c'est un calendrier du temps proposé à la sagacité du spectateur. L'installation, plus ludique, implique une participation plus physique de l'observateur, bien que la dernière réalisée à Aigues-Mortes était plutôt dans l'esprit d'un jardin Zen. La théâtralité du Jardin Salé répond également à un besoin de mise en scène du sel. Le réseau orthogonal s'inscrivant dans ce carré de sel, ponctué de mulons colorés (bleu outremer, terre de Sienne brûlée) est allusif au plan des cristallisoirs du Marais de Guérande.

Tu parles de "jardins", de "délivrance"... Tu abordes ton installation à la manière d'un moine japonais et c'est Jérôme Bosch que tu évoquais tout à l'heure... Zen au Jardin des Délices ! Peux-tu développer cette idée d'une perception physique, sensuelle en regard de la peinture ? Comment peut-on régler cette dualité entre notre culture d'Europe et une attitude orientale qui est, par bien des côtés, opaque pour notre entendement ?

Le spectateur traversant ce jardin cristallisé, paradis perdu ou rêverie du Monde, peut "voir avec ses pieds" ce qu'il goûte avec sa bouche ; un proverbe dit que lorsqu'on vous montre la lune, il faut regarder celle-ci et non le doigt qui la montre...

Il y a aussi chez toi cette idée du sel liée à une réflexion sur le temps. Référence à ces boîtes où tout cela travaille ; action du temps sur le sel et du sel dans le temps. Temps d'une inscription ou de la traduction "salée" d'une inscription : écriture/lecture. Que cherches-tu dans cette économie ?

Utiliser le sel "mesure du temps", sablier immémorial enfermé dans les tables saulnantes, conjugué à l'action rubigineuse de l'acier est un jeu de connivence avec le Temps. "Feu délivré des eaux", message ocre rouge s'inscrivant lentement à la surface d'une plage de sel blanc peutê tête la traduction salée d'une inscription écriture-lecture, car le sel gorgé de rouille cristallise les mots et donne du sens à cet aphorisme.

Tu travailles là "de mémoire", en confiance aux sensations passées... Quel genre de notes as-tu prises quand tu étais au Laos ?

Confiance aux sensations vécues, retrouvailles en atelier avec les émotions suscitées "là-bas". La mémoire active s'aide de notes photographiques prises pendant ces voyages : c'est par le regard que l'énergie des choses passe en celui qui les contemple.

Si le sel est ce qui reste, le "résiduel", il y a une forme d'abstraction inhérente au principe salé. Au Laos, ce serait pour toi une mémoire. Dans le cas d'algues-Mortes, c'est une idée du monde une fois les océans vidés de leurs eaux ; une fois le principe de vie définitivement aboli. A partir de ce paradoxe : le sel qui contribue à la conservation (notamment de certains aliments) et le sel qui attaque et corrode (le papier ou le métal détruits par le sel), y-a-t-il une relation selon toi entre le sel et une idée de la mort ?

Comment ne pas imaginer, nous remémorant la fin du voyage d'Henri Mouhot, découvreur d'Angkor, mort au Laos en 1861, de plus beau sarcophage que ces cuves à saumure du village de Ban Bô ?  Les parois de ces cercueils "murs de notre prison natale" s'effriteraient, corrodés par le sel. Nous pourrions alors participer aux festins post-mortem des anciens égyptiens momifiés dans le natron !

Il y a aussi cette idée du sel comme une enveloppe ; quelque chose comme une neutralisation blanche, à bout de signes. Quelle relation peut-on établir entre cette "fixation" des formes et la fluidité dont tu parlais tout à l'heure ? En quoi ces notions contradictoires peuvent-elles se manifester dans ta peinture ?

Le sel, élément solide, conserve les aliments, fixe la décomposition. Dilué dans l'eau, il possède des vertus médicinales. Il n'y a donc pas de contradiction entre fluidité et fixité, car cette fluidité picturale définit en séchant, des formes que j'ai choisies (aidé par le hasard et le mouvement d'aller et retour de la couleur sur la toile). En revanche j'utilise ces contraires pour "faire", la surface du tableau devenant une sorte de cristallisoir métaphorique, la fin de l'évaporation annonçant la récolte.

Tu travailles l'acrylique, les médiums et les pigments à la manière de l'aquarelliste. La matière est versée et inonde la toile posée au sol. Tu répands matières et gels qui provoquent les pigments en surface... Leur action t'intéresse et le pinceau va accompagner ce petit précipité chimique dans ses convulsions. ce sont ces réactions qui au hasard produisent des propositions graphiques. En sachant, la toile se structure. Cela peut prendre un certain temps et ton travail est autant d'observation que d'intervention. Il y a là une énergie que tu vas contrôler mais qui résulte de cette rencontre être le geste libre d'une "inondation" picturale et e temps de séchage qui va énoncer la toile comme une "réponse". Ton travail revient souvent à cela. Quand tu reprends l'expression saucière du "Feu délivré des eaux", on peut penser qu'il s'agit là aussi pour toi d'une définition de la peinture telle que tu la pratiques : la toile réagit ses solutions propres, une fois réglé le débat entre les expressions contradictoires dont elle est soudain inondée. En somme, cette exposition a-t-elle pour toi valeur de manifeste ?

Cette exposition, somme de travaux réalisés depuis 1992, illustre une manière de peindre qui allie le "fais ton travail, matière !" au "C'est comment que tu peins, Gravis ?" Si tu parles de "manifeste", je dirais par boutade que c'est le manifeste de "Défense et illustration de ces petits cônes blancs très purs qui ponctuent l'espace partout sur la planète".

Villa Riberolle, Paris, avril 1995.

Réponses de Jef Gravis à douze questions de Pascal Letellier, avril 1995.

Feu délivré des eaux, 1995

L'émergence du Sel

texte de Jef Gravis, mars 1997

Note : nous publions un texte autographe inédit de Jef Gravis intitulé L'émergence du Sel.

Jef Gravis y raconte dans le détail ses expériences avec le sel depuis ses voyages au Laos en 1991 jusqu'à un projet d'exposition L'or blanc des îles en 1997.

Les pages du texte d'origine sont indiquées en italique.

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C'est après un voyage dans ce village laotien de Bam-bo que les petites idées, les petits flashs d'impressions me sont venus à l'idée, dans la tête, ça a été la petite graine qui a fait germer l'idée.

Ce voyage au Laos s'est passé en 2 fois.

La première fois en 1991, nous avons visité 2 villages : le village de Bam-bo, celui de Km 21 qui sont deux sites d'exploitation salicole, d'exploitation souterraine de saumure d'eau salée et qui procède par pompage de l'eau salée en sous-sol pour ensuite en faire un système d'évaporation dans des fours selon ce procédé indigène, la naissance du sel par le feu.

J'ai procédé d'abord par repérages photos du site, des installations, le spectacle du feu, celui des fours, le contraste de l'ombre et de la lumière au milieu de ce site installé dans des clairières au milieu de la forêt tropicale. Forêt - prairie, savane. Paysage de latérite (?). Ciel clair. Activité de ces gens : les sauniers qui extraient ce sel et en font un commerce local.

A Bam-bo, c'est une activité villageoise, familiale presque, et le gouvernement (démocrate populaire) se charge de transporter le sel dans les villes intérieures du Laos.

C'est le sel de la consommation courante, la production est très moyenne.

En découvrant le Sud du Laos, en empruntant l'avion puis le bateau sur le Mékong, je suis allé au Vat-phu. C'est un temple qui tous les ans fête les rituels bouddhistes. Lieu de pèlerinage situé sur un site très endommagé ; c'est un ancien temple khmer, situé très près de la frontière cambodgienne.

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Au retour de ce voyage, les idées sur ce minéral se sont concrétisées par des travaux. Travaux sur papier d'après mes souvenirs et mes impressions - comme un effort de mémoire.

C'était à la fois un travail sur papier avec de la peinture acrylique et surtout à l'encre. Au fur et à mesure je progressais dans l'exploration personnelle de cette représentation.

Comme un carnet de mémoire ?

A travers ça j'avais l'impression d'explorer un thème, disons de rendre une émotion. En atelier, le retour, la restitution personnelle de ces émotions.

Il y a au départ beaucoup de travaux sur papier au format 65 x 50 et puis ensuite je suis passé à des formats plus grands de 2 x 4 m montés en diptyque. C'était travaillé à plat ; comme des sortes de grandes aquarelles. Je voulais aussi restituer l'impression d'évaporation. J'utilisais beaucoup de jus qui s'évaporait donc petit à petit et qui me permettait de revenir sur le travail de façon plus graphique. Il y avait donc un mélange technique de grandes plages d'évaporation d'eau colorée puis ensuite le travail du trait se faisait la mémoire des éléments graphiques que j'avais récoltés sur place.

J'avais là-bas à la fois toutes les photos prises et un petit carnet de notes ; c'était ma base, une matière première.

Le Km 21, village similaire à Bam-bo, l'appellation coloniale de la topologie du village. Les coloniaux baptisaient ainsi les sites à partir de la capitale Vientiane.

Bam-bo est localisé au nord, près d'un grand barrage construit par les soviétiques, il y a 40 ans, qui fournit le courant électrique que les Laotiens vendent aux Thaïlandais.

Km 21 et Bam-bo sont devenus des titres de mon travail.

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Parallèlement à ça, j'ai fait un travail sur les temples. Le thème du sel et des temples venaient se chevaucher dans mon expression.

Peintures des temples, profusion de lumières de bougies, débauche de fleurs, présence de ces bouddhas sculptés.

Travail au trait, simplification de la silhouette du bouddha, signes synthétisés. Comme une ampoule. Un travail que j'ai exposé chez Olga Soe. Mais cette thématique du temple s'est effacée progressivement au profit du sel. J'ai ouvert là d'autres champs d'investigation.

Et en allant au Bénin, j'ai effectivement retrouvé cette ligne saunante. En retrouvant d'ailleurs le site de Guérande. Car il y avait là des gens de Guérande, ici des paludiers avaient fait le voyage pour montrer aux Béninoises qui cueillaient le sel de façon archaïques - lessivage et grattage des sols de sables salés qui sont près des lagunes. C'est un sable lagunaire duquel elles extraient le sel par lessivages successifs, et, de la même façon qu'au Laos, on chauffe l'eau salée pour en extraire du sel par évaporation.

 

Bénin 1994...

1991-1994

Une recherche mise à jour par complémentarité avec la découverte d'un pays.

Au Bénin, à Ouiddah, village lié à la déportation des esclaves béninois de l'intérieur, vendus aux Portugais. Repérages photos + dessins, croquis.

Ce ne sont pas vraiment des villages de paludiers, mais de petites unités de femmes Oula qui ramassent le sel et le vendent sur les marchés. Mais il n'y a pas d'ensachage ; c'est au contact avec les Guérandais que tout cela s'est structuré. Ce qui m'intéressait c'était dans ce paysage lagunaires ces paysages de mangrove, ces petits fours d'extraction ; plus rudimentaire qu'au Laos.

Retour à Paris

J'obtiens un contrat avec St Nazaire et la jonction se fait autour du site de Guérande, visité plusieurs fois, le marais guérandais.

Page 4

J'avais 3 points d'ancrage et d'exploration de travail. Laos, Bénin, Guérande. J'ai travaillé d'abord avec la même méthode des photos et des croquis, j'ai aussi visité les salorges, des endroits de stockage qui sont construits en bois pour engranger le sel, le protéger des intempéries extérieures, avec des murs obliques qui permettent aux parois de résister aux poussées latérales du sel. J'ai vu du sel en très grand tonnage. Comme des sillons à sel qui sont peints à l'extérieur avec de l'huile de vidange, du goudron, pour étanchéifier les parois. Maintenant ils construisent aussi des structures en métal. Il y a aussi des stocks à l'air libre recouverts de PVC. A Guérande l'exploitation du sel par mécanisation m'est apparue dans son ampleur industrielle.

 

L'élaboration du projet los-Bénin-Guérande

L'idée de l'installation est venue par imprégnation du site guérandais. Je me suis dit pourquoi pas installer du sel dans le lieu de l'expo, à St Nazaire (juillet 1995) sur l'initiative de la galerie des Franciscains, galerie municipale de la ville.

Cartographie saulnante

En mai 1995 à Aigues-Mortes une galerie municipale proposait le mai du sel. Contrat avec les salins du midi, proposition conjointe entre un événement local et mon travail. Galerie des Capucins. Un galop d'essai. Ma première exposition - installation. Technologie grande échelle pour récolte du sel - tout est mécanisé.

J'ai montré le travail sur Bam-bo, le Bénin + une expo-installation.

La mise en grain

Une expérimentation d'atelier m'a permis de découvrir les rapports entre le métal - l'acier - et le laiton. Cette cohabitation entre le métal et le grain de sel et leurs interactions.

J'ai mis en place petit à petit ce procédé de colorisation du sel dû à l'oxydation du métal.

Page 5

Tu isoles un élément d'une totalité, c'est la phase (mot illisible) et de recherche.

Tu t'appropries une matière, qu'en faire, comment l'incorporer dans ton vocabulaire d'artiste.

J'ai réalisé des emboîtages de sel brut, emboitages à fond d'acier. Il y avait cette exigence de mise en boite du sel, tous les 3 mois qui correspondait à l'idée de temps. L'effet du temps avec cette mise en boite trimestrielle produisant un effet de colorisation progressive de ces boites. Mise en espace au sel de ces emboîtages. Ca n'a pas eu de suite. Ca ne correspondait (pas) au résultat envisagé par moi. C'était de l'expérimentation pure et simple mais plastiquement ça n'aurait pas eu de suite. J'abandonne donc ces boites au profit d'un travail plus graphique où l'élément métal dessiné en fond de boite est intéressant et rejoint mon travail pictural.

Mise en boite, sur des formes préalablement découpées et qui dessinent en surface des formes apparentes. J'ai laissé de côté les premiers emboîtages à fond de cuivre et d'acier pour m'orienter vers (?) un travail plus graphique. Parallèlement à ça j'élabore des projets d'installation. L'aspect scénographique intervient, il va se développer à partir de St-Nazaire. Travail sur la lumière électrique et le son.

Je n'abandonne pas le travail de représentation du grain. Disons que ce foisonnement d'idées se classe, se met en formes, il y a beaucoup d'aller-retours, de tentatives, j'ai constamment besoin de m'alimenter en sources nouvelles - le Sel d'Aovo - , les milieux portugais, italiens ou Corse m'apportent de nouvelles thématiques, et de nouvelles sources d'imaginaire.

(...)

Pour en finir avec ces boites à sel, je cherche à les installer de façon définitive à la façon d'un sablier immémorial.

Page 6

Imaginer des étagères murales verticales qui illustreraient le propos de la désagrégation progressive du sel mélangé à la rouille de la plaque d'acier qui petit à petit créerait un échelonnement du temps, via le sel et la rouille qui se seraient agrégés pour finir dans un réceptacle. 7 ou 8 étages installés à la verticale, avec au centre de la plaque d'acier un trou par lequel la poussière s'égrènerait... Comme un faux calendrier, ou un baromètre (-schèma) On aurait une poudre, un substrat de poudre de rouille et de sel rouillé qui finirait en poussière recueilli dans le bas de l'installation comme une chute de sel. En bas on aurait une boite à souvenir : poussière de sel, poussière de rouille.

Ce serait la terminaison du cycle des boites à sel en quelque sorte.

C'est ça.

Parallèlement il y a ce projet, à partir de la découverte du grain, il y a l'idée, du temps du sel via son oxydation, par l'acier. Production d'autres boites à sel d'un genre narratif différent.

Soit l'emboitage est plein à ras bord, saturé (cf. l'empreinte) ce qui constitue un écran, tandis que là on aurait un demi écran : on voit la partie supérieure du métal et son travail d'oxydation formel et circonscrit. Il y a une division verticale du métal et du sel. 2 matériaux qui travaillent parallèlement et indépendamment. La boite-tableau travaille - ce n'est pas inerte. Cette donnée de résidu de rouille qui tombe à la lisière supérieure de la plage de sel est une chose différente de mon ancien travail. Avec l'apport de l'aléatoire, ça travaille ou ça travaille pas - mais c'est incontrôlable. Avec la salinité en fixé sous verre...

La bande  active du sel et du métal, sel et rouille.

Page 7

Les emboitages avec le fixé sous verre constituent une ouverture sur un autre champ de travail.

Ces emboitages peints et fixés sous verre, il y a l'apport pictural antérieur qui surgit. Il y a une trace graphique pouvant remémorer les lieux salins.

Dans cette 3ème phase de travail, il y a le souvenir et l'intériorité de mon premier travail de 1992 avec cette histoire de colorisation qui travaille aussi. Une somme, une synthèse de plusieurs événement picturaux. La trame graphique, remémoration des signes visités er aussi travail de la colorisation du sel, soumis à l'oxydation.

C'est le surgissement du hasard dans l'oeuvre dégagé de l'imagerie. Image et non-image ; une suite d'allers-retour.

Le 3ème volet serait celui des installations. Le souhait que j'ai de faire des installations n'est pas le même que celui que j'ai de faire des emboitages en atelier.

Marchamp Cel

Marchand du Sel

Entretien 2

Nous allons parler de MdS.

Citation de l'anagramme de Marcel Duchamp.

Estampes

La technique sérigraphique "ce haut jeu mental" (Dubuffet - Théâtre de mémoire)

Les phases de travail

L'idée du projet - réaliser 10 estampes, imprimées à l'atelier d'Eric Seydoux.

La maquette

Le procédé est le suivant : après avoir dégraissé la plaque d'acier je l'enduis d'un vernis incolore qui va fixer l'oxydation. Nous allons faire plusieurs passages des motifs qui sont dessinés sur cette maquette. Ensuite quand les passages auront été

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exécutés sur la plaque vernie y aura un travail de dégrénage de corrosion de certaines parties qui vont être laissées à l'état d'oxydation.

Ici (tout) rien n'est (est) repéré d'avance, puisque ce sont des estampes. Les incertitudes de l'oxydation vont faire que chaque plaque aura un concept original puisque la rouille ne sera jamais la même sur chaque endroit. Les plaques font 65 x 50, elles ne seront pas encadrées, elles sont d'épaisseur 8/10ème, ce qui donne un poids à l'estampe, elles sont mises sur le mur directement, sans encadrement.

C'est de l'estampe sur plaque d'acier. Le support est sur l'acier et non le papier comme il est d'usage. On pourrait dire : planche de 

sérigraphie sur métal.

Ces 10 "précipités" intitulés : Marchamp du cel

Là, le fondement de la recherche dans ce cas, c'est un mixage de techniques. C'est une technique de sérigraphie. Ici la rouille prédomine, le grain est artificiellement créé - c'est un faux grain : un procédé mécanique de photographie d'une plaque de verre sous laquelle je vais mettre du grain du sel. Ici on est dans une simulation du grain de sel, qui sera imprimé sur l'acier. La citation de Marchamp du cel est un clin d'oeil littéraire. Le titrage et le sens qu'il induit est spécifique à cette pièce-là. Il est possible que par la suite, quelques mots, une phrase imprimés sur le support d'acier me servent à décliner d'autres choses. Pour l'instant je ne sais pas. Disons que le résultat de la chose imprimée va me renseigner sur cette technique.

Une empreinte rubigineuse dans le sel c'est plutôt ce que je vais faire avec cette série - herbier du temps. Ici on a une autre forme de "fixé" mais qui fait appel à la technique.

C'est une proposition qui va se décliner sur les résultats. Ces réserves sur le vernis vont produire des accidents uniques - à chaque fois - ce sont donc des tirages originaux.

On n'a plus l'intervention du sel, celle de la rouille est circonscrite. On a l'intervention du temps, via les stades de la rouille, mais c'est la mise en avant de l'accident sur le processus créatif.

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Avec Seydoux, on va connaître le résultat à 80%, ce qu'on ne va pas contrôler en revanche, ce sont les bouts de rouille qui vont tomber dans le carton.

Autre travail en cours : un travail de botanique-fiction (herbier du temps).

Une suite de planches de botanique maritime qu'on travaille en empreinte dans des emboitages de sel. Là il y a une destinationprécise : en fait, c'est une commande. (Herbiers du temps - emboitages à empreintes). Des empreintes rubigineuses d'algues et de plancton apparaissent progressivement à la surface du sel contenu dans ces emboitages. Ce procédé de figures du temps mis en oeuvre répond à une thématique des océans - pour le pavillon de l'expo universel à Lisbonne.

Ce serait réalisé comme ces emboitages. Pas en forme carré. Une impression sérigraphie de titrage des différents noms latins des algues. Comme un herbier. La fabrication de ces formes dragues serait faite au laser sur des plaques d'acier qui seraient posées das le fond des emboitages.Il y (?) aurait une intention d'illustration botanique beaucoup plus marquée, tout en ne connaissant pas par avance le résultat. Imagine !

Une vingtaine : une découpe d'acier, prédécoupée de la fleur de sel et puis un sel très blanc, le tout donnant une impression. LA difficulté technique résidera dans le découpage de la forme d'acier. La colorisation obtenue dans chaque boite sera différente. Pour arriver à un 1er résultat de colorisation ça demande 1 à 2 semaines. Cette plaque de cuivre est un leurre (?), il n'y a pas de cuivre en-dessous.

On aurait donc là le surgissement accidentel d'une image saunante et le développement d'une iconographie née du sel par surprise la recherche d'un nouveau vocabulaire né du sel.

A la différence de l'estampe, on revient ici à la part action du grain

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porteur de fiction.

Georges Bauer qui écrivait au moyen-âge sur les Marais-Salants.

"De Re Metallica"

"A la chaleur du soleil, l'eau se condense et le fond des bassins s'encroûte de sel, l'entrée de nouvelles quantités d'eau permet d'augmenter l'épaisseur du dépôt et l'ouverture de certaines vannes permet de faire passer les eaux résiduelles dans d'autres bassins où elle finit de s'évaporer. Le sel est ramassé avec des râteaux puis mis en tas à l'aide de pelles en bois.

Commentaire de "Feu délivré des eaux" 1995 exposé à l'empreinte 1997 (C.G. Pompidou).

L'artiste désigne ainsi les étapes de a fabrication :

1/ choix d'un emboîtage

2/ découpe des gabarits de lettres en tôle d'acier 10/10è

3/ oxydation accélérée des lettres en métal dans du chlore

4/ fixation des lettres par vissage sur un fond de contre-plaqué 8 mm

5/ remplissage de l'emboîtage avec du gros sel blanc

6/ légère brûmisation d'eau à la surface du sel

    permet au sel de reprendre (au sel) un peu d'humidité

7/ pose du fond et fermeture de l'emboîtage en janvier 1995

"Depuis cette date la rouille fait en quelque sorte monter la trace vers la surface du sel qui au départ l'offusquait au regard." Georges Didi-Huberman

Oeuvre toujours anachronique. A charge.

(Commentaire Catalogue)

Pourquoi le choix de cette oeuvre à l'expo ?

Moi, je ne le sais pas !

Je lui ai soumis aussi "empreinte rubigineuse". Ici le titre est contenu dans la pièce. Il n'apparaît pas noir sous blanc ; si on n'a pas la légende sous les yeux, on ne peut pas lire la phrase contenue dans l'oeuvre (?). Elle est d'ordre synthétique.

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Sa lisibilité est aléatoire. Ces mots ont-ils de l'importance sans cette histoire-là ? Que voit-on ? Avec ou sans la légende à chacun de voir tout en sachant que les mots sont cachés. Est-ce que la part cachée du mot dans l'oeuvre ne constitue pas l'oeuvre elle-même.

Oui, elle constitue le sens de l'oeuvre.

Seul, le sel connait la réponse.

Le sel, seul.

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Chronologie

1ère pièce avec du sel. Feu délivré des eaux. 1994.

exposé à l'empreinte, accrochée pour la 1ère fois à St-Nazaire

(Cf. Communication Catalogue).

Avant. Les boîtes à sel. Fabriquées tous les 3 mois à partir de 1993.

L'intention c'était de montrer le travail du sel de Guérande, sa colorisation sur des plaques d'acier. La plaque complète qui agissait sur le grain.

Les dimensions : 50 x 50. Boîtes carrées. 4 cm de profondeur. Montrées à St-Nazaire pour la première fois.

Le travail de corrosion. aujourd'hui (mars 1997)

La phrase se dégage peu à peu mais n'est pas encore au stade de lisibilité complète. Pour les boîtes, le processus a été + rapide, il est apparu en 15 jours. Il y a le mystère de la colorisation : ça travaille ou ça (ne) travaille pas.

(présentées au SAGA en mars 1996) Fabriquées en janvier 1996.

Ainsi que ces petits emboîtages ; là il s'agit d'un travail différent

impression sérigraphie sur verre + un double vitrage + un fond en cuivre qui est censé coloriser le sel en vert. Série de 10 boîtes (18 x 14 x 4 cm prof.) "Cum grano salis"

Il y a eu un apport imprimé avec le contenant du grain et l'empreinte rubigineuse à l'intérieur.

"Mis à distance par ce jeter d'émeraudes et d'améthystes, le sel s'imprègne de l'oxyde de fer fixé sur fond de cuivre pour laisser cette trace rubigineuse jouer imperceptiblement avec qui la regarde !"

Les Fixés sous verre Printemps 1996 / Sept. 96.

Considérant la plaque de verre et l'emboîtage de sel la couleur sombre met en valeur le blanc du sel. C'est une façon de

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reprendre le tableau : un retour à la forme et comme un travail parallèle.

Faire rentrer le sel, à nouveau dans le tableau de chevalet, avec une recherche sur la forme, un vocabulaire...

Emboîtages 110 x 80

Je procède par cases. A l'intérieur tu as des petits repères en bois qui permettent de canaliser le sel et le mettre dans certaines zones choisies. On a du cuivre en +. Tout est construit par zone. Il y a une installation sur le cadre. Les zones sont repérées au préalable à l'intérieur du châssis.

Je peins la plaque de verre dans sa totalité et je travaille ensuite par grattage et avec l'éponge pour enlever des éléments et en garder d'autres. La plaque de verre est ensuite fixée sur le canevas. C'est une sorte de double-tableau. Une sous couche du tableau pré-existe, un dispositif pré-existant. Une double histoire. Le blanc du sel sera encore + mis en valeur. Là, il y a mariage du sel et de la peinture -> surgissement d'une nouvelle texture. Comment faire entrer le grain et le sel dans le tableau. Sans pour autant coller du grain, le minéral qui aurait produit un simple travail décoratif et détruit le sens profond.

3 pièces (triptyque) de mêmes dimensions.

110 x 80 cm. Sel blanc + sel coloré en bleu outremer.

exécutés en même temps. Bleu nuit qui donne beaucoup de reflet au verre. Terminée il y a 6 mois (septembre 1996).

Là j'ai repris des thèmes anciens : les tas de sel, les paniers. Intérêt pour l'opacité ou par la transparence. Oscillation de la démarche. On masque pour faire apparaître certaines formes. Et il y a en même temps une profondeur de champ du plan.

Ici l'humidité du sel a fait exploser le fond ; et là c'est un écran nu. Le travail du sel s'est fait à mon insu. Le dépôt du sel

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coloré sur la vitre crée cette petite matière, une buée de sel bleu d'où l'intérêt de l'incident pour activer la recherche de l'artiste. Cette trace de buée de sel ne part pas en première. Pour préserver l'accident, il y a toute une stratégie de transport. Derrière il y a une matière de papier qui donne comme un résidu. L'effet rendu du sel sur la toile je l'obtiens sans utiliser du sel avec du papier et de la sciure de bois.

Projet d'exposition Lisboa

(l'or blanc des îles)

en 4 volets 1 Hydrographie Salicole

                   peinture et travaux sur papier

                   2 Petits cônes blancs

                   estampes à technique sérigraphique

                   3 Herbier du temps

                   emboîtage à empreintes

                   4 Marchamp du cel

                    estampes originales à tirage limité

+ communication dossier

voir interview Pascal Letellier.

Dans le triptyque

L'idée de forme et de contre-forme. Une matrice et une contreforme qui apparaît sur le verre, issue de la matrice.

// le grand verre (Duchamp)

C'est-à-dire le résultat visible est une contreforme d'une forme matricielle conçue préalablement à l'intérieur. Pour apercevoir le verso, il aurait fallu avoir un fond en verre. On voit le procédé et son secret de fabrication. Voilà une nouvelle direction. On sort de la cimaise. Oui, c'est très possible à envisager. Trouver une colle qui puisse travailler avec le verre. Donc, mon prochain travail !

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Si on accroche ça dans l'espace, ça peut être formidable (rayé en rouge). Enfin je ne sais pas encore mais je vais faire en mai. Il faut créer un volume transparent.

Voir

Jef Gravis - L'émergence du Sel (texte autographe inédit)

L'émergence du sel, mars 1997
Figures du temps, printemps 1999

Figures du temps

livret de l'exposition à l'Ecole des Beaux-Arts d'Angers,

28 avril au 18 mai 1999

FIGURES DU TEMPS

Figures du temps

Le temps, l'obscur ennemi qui nous ronge le coeur (Baudelaire, Spleen et idéal), peut-il devenir l'allié d'un peintre "arpenteur du sel" ou ne serait-ce qu'un leurre propre à retarder l'inexorable par une fuite symbolique hors de la durée ?

La question est peut-être contenue dans la démarche d'invention de ces figures du temps, un ensemble d'oeuvres réalisées par Jef Gravis depuis 1992, qui seront présentées dans l'espace d'exposition de l'école des Beaux-Arts d'Angers, au printemps 1999.

Pour l'artiste, l'appropriation du sel s'est opérée à la suite de quelques voyages en terres salées d'Asie, d'Afrique et d'Atlantique. Papiers et toiles furent peu à peu délaissés au profit de sacs de sel de provenance exotique ou domestique, de cuillers et entonnoir à verser le grain, de feuilles d'acier est de cuivre soumises à l'oxydation, de glaces traitées en peinture fixée sous verre, tous ces matériaux induisant de nouvelles procédures de fabrication des oeuvres.

Une exposition ouverte

Au sein de l'exposition, la présence iconographique de travaux d'étudiants de l'école, en option communication (ayant participé aux missions pédagogiques Allures d'oiseaux I et II) jouera un rôle de passerelle entre la démarche de l'artiste, les réalisations étudiantes inscrites dans le concept d'ARC, développée par Pierre Selon, directeur de l'école avec l'équipe d'enseignants coordonnée par Yves Orillon. Une création originale de l'atelier danse dirigé par Brigitte Livenais, dans le cadre du Centre National de Danse Contemporaine - L'esquisse, sera jouée le jour du vernissage en contre-point des travaux vidéos et photographiques des étudiants.

L'EXPOSITION

Pour une meilleure lecture de l'exposition, nous avons organisé la mise en place des oeuvres suivant les repères indiqués :

- LES FIGURES DU TEMPS 1999

- DES ALLURES A LA TRACE VOLATILE (ALLURES D'OISEAUX) 1998

- LES EMPREINTES 1994-1998

- LES LIEUX DU SEL 1992-1995

- LES FIGURES DU TEMPS 1999

Un ensemble d'emboîtages, déclinaison de l'entonnoir : passage du grain, écoulement du temps, traces d'oxydation dans le sel.

- DES ALLURES A LA TRACE VOLATILE (ALLURES D'OISEAUX) 1998

Sérigraphies sur disque de laiton. Edition Eric Seydoux. Travaux de l'atelier de recherche de l'école des Beaux-Arts d'Angers, vidéo, photographies.

- LES EMPREINTES 1994-1998

Exemples du processus d'oxydation de métaux (fer, cuivre) enfouis dans le sel, inscrivant à la surface minérale des formes évoluant en temporalité et météorologie.

- LES LIEUX DU SEL 1992-1995

Travaux sur papier, peinture sur toile, représentations allégoriques des salines étudiées par l'artiste (Laos, Bénin, France).

A PROPOS DE SEL ET D'EMPREINTES

Ma méthode de réalisation d'empreintes rubigineuses dans les emboîtages met en oeuvre le transfert d'énergie entre la rouille et le sel.

Phase d'attente

Elle varie d'après la météorologie. Exemple : à 10 °C pour un degré hygrométrique de l'air égal ou supérieur à 74,9 % d'H.R., le chlorure de sodium absorbe de l'humidité.

Le collectionneur questionne l'oeuvre : "alors, c'est pour quand ?"

Phase de pigmentation lente

Elle se produit à la surface du sel par l'apparition de taches de couleur jaune soufre virant à l'ocre brun : "qu'est-ce que cela va me faire ?"

Phase de diffusion progressive de l'empreinte

Elle ne s'arrêtera qu'au terme de l'épuisement ionique de l'oxyde de fer avec le sel : "j'ai encore vieilli !"

ELEMENTS BIOGRAPHIQUES

Ancien élève de l'école des Beaux-Arts d'Angers (1958-1961), Jef Gravis fera sa première exposition à Boston en 1966.

Ayant pratiqué l'architecture, l'illustration, le graphisme, le théâtre de rue, et bien sûr la peinture, son itinéraire artistique est ponctué d'expositions en Europe et aux Etats-Unis.

En 1995, il réalise une exposition / installation, Feu délivré des Eaux, à la galerie des Franciscains de Saint-Nazaire.

En 1997, il est invité à participer à l'exposition l'Empreinte au Centre Georges-Pompidou.

Pour 2000-2001 Jef Gravis prépare une intervention d'art plastique à l'Institut Français de Palerme ainsi qu'une exposition tournante coproduite par le musée de Niort, le musée E. Cognacq de Saint-Martin-en-Ré, le musée des Ducs de Bretagne à Nantes.

Membre de la C.I.H.S., il est invité à participer au 8th World Salt Symposium qui se tiendra à La Haye.

La Galerie d'édition Eric Seydoux présentera ses oeuvres à la Foire de Bâle et à la FIAC 1999.

"D'abord le sel me manqua beaucoup ; mais je pris vite l'habitude de m'en passer. Et je suis convaincu que l'usage si fréquent du sel chez nous n'est qu'un effet du luxe, et fut d'abord introduit à seule fin d'amener les gens à boire..."

J. Swift. Gulliver

Editée dans le cadre de l'exposition Figures du temps du 28 avril au 18 mai 1999.

Ecole Régionale des Beaux-Arts d'Angers - 72 rue de Bressigny 49100 Angers

Livret de l'exposition Figure du temps, printemps 1999

Livres d'artiste numériques

textes de Jef Gravis et Philippe Sohiez,

2012-2014

 

Note : le site publie des extraits des 4 livres.

Artiste à l'hôpital

première page :

"La réalisation de ce travail s'est opérée dans un grand désordre résultant du télescopage d'images issues de la mémoire de la tumeur cancéreuse, des hospitalisation successives au pavillon ORL de l'Hôpital Tenon, et du ressenti mental et émotionnel de mon corps face au handicap de ma voix mutilée."

page suivante :

Le projet artistique de Jef GRAVIS est né en 2010, chambre 12, service ORL du Professeur Jean Lacau Saint Guily, puis s'est développé chambres 14 et 21 en 2011 ; ces deux "ateliers nomades" se trouvant au troisième étage du Pavillon Gabriel de l'hôpital TENON.

Comment faire passer au moyen de ces dispositifs frictionnels utilisés par l'artiste - estampes en sérigraphie et tirage pigmentaire, collages, photomontages, peintures en tout genre - l'inspiration aléatoire entre la réalité objective de l'hôpital et l'interprétation subjective du travail en atelier ?

"En tant qu'intermédiaire entre l'univers médicalisé et le monde de la poésie du réel, j'ai créé PETIT CRABE CRICOÏDE, métaphore du cancer du larynx, AUTOPORTRAIT A CANULE PARLANTE et CHAMBRE 21, souvenirs du Pavillon Gabriel, DES ESPRITS VOYAGEURS, renaissance de la grande chenille malade en papillon amoureux de la vie..."

"Pour finaliser cet ensemble, j'ai mis en place CULTURE A L'HOPITAL, un panneau-montage de signatures et impression de membres du personnel soignant, visiteurs des expositions que j'ai réalisées dans les médiathèques en 2011-2012."

avant dernière page :

Le catalogue ARTISTE A L'HOPITAL, conçu par Jef Gravis et Philippe Sohiez a été édité à l'occasion de l'exposition de l'artiste dans le hall d'accueil de l'Hôtel Dieu à Paris. Imprimé en édition limitée, il est proposé aux amateurs d'art en souscription au prix de 50 €. Tout acquéreur de cet ouvrage d'artiste recevra une estampe tirée à part en impression pigmentaire sur papier arts 220 g à 1/.25 ex. numéroté et signé par Jef Gravis.

dernière page :

L'exposition de Jef GRAVIS, récit autobiographique abondamment illustré avec des peintures sur bas-reliefs, du dessin et des estampes, aborde la relation de l'artiste avec la maladie et l'univers hospitalier, à travers le prisme de sa propre expérience à l'hôpital.

Pour Jef GRAVIS, le défi émotionnel et physique face au redoutable cancer du larynx (PETIT CRABE CRICOÏDE) s'est matérialisé à travers une série d'oeuvres exposées depuis 2011 dans les médiathèques et halls d'accueil d'hôpitaux de l'AP/HP à Paris.

Réseau AP/HP : hôpitaux Hôtel-Dieu, Rothschild, Cochin, Tenon, Saint-Antoine, Bichat, Beaujon, Trousseau, Saint-Louis...

extrait du livre Artiste à l'hôpital

Allons voir si...

avant dernière page :

ALLONS VOIR SI LA MER EST SALEE

Partant d'une thématique de base, le SEL, et considérant la proximité de la somme des savoirs livresques contenue dans les rayonnages d'une bibliothèque/médiathèque, j'ai orienté la mise en place de l'exposition de Romainville suivant un concept de parti-pris documentaire afin d'initier les visiteurs à ce minéral singulier et à regarder un choix d'oeuvres réalisées il y a trente ans au cours de nombreux voyages dans les salines et salins visités dans plusieurs continents.

L'exposition rassemble des oeuvres aux lignes de force convergentes : représentations du sel à travers ces sites de marais salants d'Afrique de l'Ouest, d'Asie du Sud-est et d'Europe, et mise en relation chimique et poétique des composants élémentaires du sel avec des oxydes métalliques, dans des emboîtages conçus à cet effet.

Chaque groupe d'oeuvres exposées, incluant des peintures sur toile, des travaux sur papier et des emboîtages à empreintes, s'attache à montrer cette mutation minérale à travers plusieurs moyens d'expression plastique.

L'image métaphorique du SEL, un "Feu délivré des Eaux", se conjugue avec la météorologie, complice ou ennemie de l'apparition lente de ces empreintes de rouille montant à la surface de ce gros gris en cristaux de Guérande ou dans du sel blanc raffiné artificiellement.

Exposé en 1991 à Saint-Nazaire (Chapelle des Franciscains), à Aigues-Mortes en 1992 (galerie municipale des Capucins), et en 1995 à Angers (Galerie de l'Ecole des Beaux-Arts), le travail de Jef GRAVIS a été montré ensuite au Centre Georges Pompidou dans le cadre de l'exposition "L'Empreinte" en 1997 et en 2000 au World Salt Symposium à La Haye.

Jef Gravis

dernière page :

"ALLONS VOIR SI, LA MER EST SALEE"

Jef GRAVIS 2013

MEDIATHEQUE DE ROMAINVILLE

Exposition 24 septembre-26 octobre 2013

Deuxième ouvrage conçu par Jef GRAVIS et coréalisé avec Philippe Sohiez. Ce catalogue est une autoédition numérique.

Tiré en livre d'artiste, 30 exemplaires signés et numérotés par Jef GRAVIS.

extrait du livre Allons voir si...

Pierres de la vertu

premières pages :

Ce petit ouvrage illustrant les bienfaits de la présence de quelques monuments choisis à Romainville est constitué d'images ponctuant de manière décorative une promenade piétonne dans cette commune de Seine-Saint-Denis.

Non pas ... barbarie mélancolique conduisant le sujet moderne à s'identifier au passé perdu..., mais plutôt un regard d'ailleurs sur l'art public à ROMANA VILLA et sur quelques statues de son patrimoine.

Un monument familial

Dans l'espace urbain de Romainville, commune d'Ile-de-France, à l'angle de la rue Gabriel Husson et du boulevard Emile Genevoix, se dresse un monument remarquable.

Idole de pierre des Iles Galapagos, menhir breton des Monts d'Arrhes ou bien symbole phallique du dieu Shiva, cette statue vertueuse, bien élevée sur un large socle de granit, a été une oeuvre érigée à la mémoire des bienfaiteurs de Romainville en 1934.

Cette sculpture évoque une femme du peuple tenant sa fille dans ses bras pour offrir un bouquet de fleurs aux donateurs, bienfaiteurs de la Ville.

Entre Haut et Bas-pays, longeant la rue Paul de Kock, deux PIERRES DE LA VERTU se dressent parmi les croix et pierres tombales du cimetière municipal.

Thanatos l'inusable

Assis sur un rocher tel un spectre figé parmi les ombres du jardin des morts, ce fils de la nuit et frère du sommeil se trouve non loin de cet autre objet funéraire : MON LITHOGENE ENFIN.

Mon lithogène, enfin

La voici cette sculpture de faux bois que le tailleur de pierre a voulu imiter, vraie croix de matière minérale qui semble porter à bout de bras une femme en cheveux qui implore dans une posture théâtralisée le repos éternel pour le gisant du dessous.

Epouse au fille du défunt, Enfer ou Paradis, les vivants qui fleurissent la tombe se souviendront de toi...

Fusion lapidaire

Pour terminer en beauté cet opuscule de quelques PIERRES DE LA VERTU à Romaiville, je conseille aux visiteurs de la Ville Fleurie de regarder une statuette posée dans le square de la Laïcité : FUSION LAPIDAIRE.

Deux corps enlacés en fusion maternelle semblent défier le Temps pour s'adonner sans retenue à la perspective nuageuse des lendemains qui chantent...

dernière page :

Cet ouvrage PIERRES DE LA VERTU créé par Jef Gravis en collaboration avec Philippe Sohiez a été édité à l'occasion des journées du patrimoine européen.

Livre d'artiste au format 21 x 15 cm. Il comporte 30 pages recto verso avec couverture souple.

Edition numérotée et signée par Jef Gravis, tiré à trente exemplaires au mois de septembre 2014.

extrait du livre Pierres de la vertu

Ecrire cinq lignes et puis...

première page :

- ECRIRE CINQ LIGNES pour remonter les aiguilles du cadran de l'existence, faire SOUVENIRS/SOUVENIRS de mes années de voyages et résidences dans ces ailleurs riches en découvertes de toutes sortes : mes années-lumières aux Etats-Unis, Mexique, Caraïbes...

- ECRIRE CINQ LIGNES au dos de ces cartes postales envoyées du Laos, d'Afrique de l'Ouest ou du désert saharien...

- ECRIRE CINQ LIGNES et loger dans ces deux nouveaux albums un inventaire de mes travaux d'art datant de ces années de zigzag, confrontées à l'observation du monde, la jungle de la production marchande et maintenant, en 2014, aux mirages de la transmission intergénérationnelle...

- ECRIRE CINQ LIGNES et pouvoir lire encore quelques albums des aventures de "Tintin et Milou" avant la liste d'âge autorisée par l'éditeur...

- ECRIRE CINQ LIGNES et puis, ARRET SUR IMAGES. That's all, folks...

Ecrire cinq lignes et puis, fuit, là bas fuir.

                                                 Jef Gravis

dernières pages :

Remerciements

La réalisation de cet album a pu être menée à bien grâce au précieux concours de Philippe Sohiez. Qu'il en soit remerciée ainsi que tous mes proches et amis qui me soutiennent pour ces travaux d'édition.

Ce livre d'artiste rassemble en deux tomes (I et II) un ensemble de reproductions et de peintures ayant donné lieu à des expositions en France et à l'étranger, ainsi que des dessins, collages originaux et photographies : morceaux choisis de travaux sur papier réalisés entre 1971 et 2014.

Réalisé en auto édition numérique au format 21 x 29,7 cm, chaque tome (I et II) comporte 40 pages imprimées en recto-verso avec pages de garde et couverture rigide en skaï.

extrait du livre Ecrire cinq lignes et puis...

Livres numériques, 2012-2014

Le site remercie les amis de Jef Gravis pour les textes réunis ci-dessous pour la première fois.

Jean-Max Albert

Le bal des Beaux Arts

texte de Jean-Max Albert, janvier 2016

Le ministre s’avance au devant de Jef Gravis… Certainement, associer Jef Gravis et ministre peut-il troubler, mais ainsi vont les rêves — et l’écriture. Car c’est bien entre ces deux états, mêlés ici dans le milieu tumultueux d’un bal costumé noyé de brumes, que le ministre s’avance pour congratuler le peintre. Les brumes ne sont pas de celles qui baignent un événement lointain perdu dans la mémoire, elles proviennent de fumeurs. Et l’événement n’a rien de lointain : les années 60 relèvent de l’intemporel, telles sont, — qui le conteste ? — les années où l’on a vingt ans. A preuve : devant nos yeux ces jeunes gens, tous vêtus en noir et blanc pour répondre, sans doute, à un thème façon bal des Beaux-Arts. Bal ou non, costumé ou pas, le ministre est contrarié de trouver Jef travesti en Lacenaire. En examinant l’assemblée on y reconnait Brecht, Freud, René de Obaldia, Delacroix, ce n’est pas rien que d’apercevoir Delacroix! Il y a aussi un mystérieux Caisac (Caizac ?) peintre de cailloux ? que Jef mentionne quand ça va mal. Les turbulences de la rêverie suivent celles de sa rédaction, on aura compris que la chronologie, commodité des administrations, n’a rien à faire ici, mais la musique, oui, elle y est à son aise : du jazz, what else ? Jef confectionne prestement un bijou. C’est un collier africain formé de boites d’allumettes de la SEITA. Il le passe au cou d’Archie Shepp. Le ministre, qui était venu pour décorer, se trouve confronté à cette situation où celui qu’il devait décorer, décore. La péripétie burlesque est applaudie. Alors, saisi d’un mouvement géométrique célinien, un chien se retourne sur son passé. Il se jette, pour ainsi dire, à sa propre figure. Un célèbre résident de Meudon très présent dans l’assistance, informe que le chien est enragé. Les nuages ne sont plus formés par les cigarettes ; ce sont les vapeurs blanches et tièdes flottant le matin sur le lac Nam Gnun où « les cimes des arbres servent de balises au piroguier »*. Devant le théâtre des funambules Lacenaire, dubitatif, les poings sur les hanches, parait surpris. Si la surprise n’est pas du caractère de Lacenaire elle est bien du tempérament de Jef : étonnement, incrédulité amusée. Et il a de quoi être incrédule avec ce languissant ministre, il annonce être en charge du ministère de la profusion culturelle contemporaine et justement maintenant, évoque la contemporanéité! Car, depuis sa naissance, le représentant des instances n’a connu que cela : il a été élevé à la contemporanéité, et ne cesse d’en répéter les syllabes, le reste ( la note grave et continue qui englobe siècles et localités), lui a échappé. Le ministre interroge Jef sur la question. Pour répondre à une question Jef baisse toujours la voix, il prend un ton de confidence. Avec un accent italien il annonce : « Apparizione… disparizione! » et, coups de vent obliques, paraissent des tableaux, et puis d’autres, et puis d’autres. On est porté vers eux avec une sympathie telle qu’en voyant, pour la première fois, les marionnettes, les fétiches aborigènes ou les figures du plancton magnifiées. Do-la-la-sol-la-do-ré-ré-do. La mostra est accompagnée d’une mélodie irlandaise : 

Je vous donnerai un bouquet de lilas et de jasmin

Si vous me prenez, prenez, 

Si vous me prenez par la main.

Depuis l’un des tableaux, sur un promontoire, au dessus d’une piscine californienne, une femme japonaise s’exclame — ou chante-t-elle aussi ? Entre elle et le spectateur, il y a un ballon, infiniment suspendu. L’image d’un présent permanent a été fixée par Jef Gravis. Le présent permanent de moments dispersés, conséquents ou fortuits, l’énigme d’Ulysse, un sourire de son fils, un voyage au Laos, disposés en succession dans la vie éveillée, puis rapprochés et superposés dans la mémoire. Comme les notes qui se succèdent dans la chronologie d’une mélodie soudain rassemblée dans un accord. Le ministre renonce à son geste, la poitrine du peintre est trop haute pour sa médaille. 

 

Jean-Max Albert 

Paris, janvier 2016

 

* Jef Gravis, Palimpseste Laotien, Editions L’Atelier Eric Seydoux, Paris, 1994

1- Bal des Beaux-Arts, La nuit du cinéma, Angers, 1962

2- Série Californienne, Bas relief bois peint, 28 x 23 cm, 1982 

JEF

texte de Pascal Letellier, février 2016

J’ai connu Jef Gravis dans les années 80. Il travaillait à l’époque dans un atelier aménagé au fond de la villa Ribérolle où j’avais moi-même installé un bureau. C’est une ruelle pavée encore préservée, attenante du Père-Lachaise, témoin d’un Paris d’hier, animée par des artisans imprimeurs, garagiste, sableur, encadreur, architecte, atelier de couture... De son local au premier étage, il pouvait observer les allées et venues. Quand le matin je passais sous sa fenêtre, je lui lançais un « Jef, t’es pas tout seul !» et il sortait la tête en rigolant. Jef passait ses journées dans cette pièce encombrée de papiers, de couleurs et de carrons à dessins. On se retrouvait parfois à midi rue de Bagnolet avec des copains autour du taboulé de l’épicerie libanaise où il avait ses habitudes et sa table. Jef était une figure de la villa et de ce coin populaire du Vingtième. 

 

Angers Saint-Lô

J’ai su plus tard qu’il n’était pas un vrai parigot et qu’il avait appris la peinture à Angers, ma France ville natale. Quelle idée ? J’ai appris encore plus tard que sa famille venue du nord de la France s’était installée dans le Maine et Loire pendant l’exode. Jef avait sans doute intégré l’hôtel d’Olonne, rue Bressigny où moi-même j’allais aux cours de dessin du dimanche matin. L’école des Beaux-Arts était dirigée par un certain Thézé. Je me souviens d’en avoir parlé avec lui une fois ou deux quand il était revenu plus tard en Anjou pour une intervention à l’école d’Art, une exposition, quelques projets. A-t-il connu les gens de la compagnie Jo Bithume ? C’est bien possible. Jef avait fait du théâtre de rue. Il se sentait bien en compagnie des circassiens. Peut-être mieux encore qu’avec les peintres de galeries.

 

Peintre voyageur, clochard, saltimbanque

Quand on a fait connaissance, il rentrait de séjours et virées au Mexique et aux Etats-Unis. Plus tard il se rendra au Laos. Jef faisait partie de cette génération des peintres voyageurs et vagabonds lunaires. Son orientalisme à lui, c’était New York, ce fut Brooklyn.  En ces temps-là l’Amérique vivait la révolution culturelle au quotidien. Graffitis et rappeurs, sound systems, jazz et bombages, Jef se retrouvait dans les libres mixages new-yorkais, lui qui avait justement choisi les places comme terrain de jeu pour ses spectacles ambulants et ses marionnettes sans fils. Jef était un homme de l’art. Il avait l’élégance étonnée des saltimbanques, le coup d’oeil et un corps de danseur mondain. Ses peintures à l’époque déjà étaient des partitions hésitantes, des story-boards dirons-nous, comme des notes pour un futur numéro d’homme solo ou un programme de funambule. Jef était contemporain du Grand Magic circus. Il aimait les costumes, les casquettes molles et les chapeaux-claques. Il avait plein de répliques et de personnages en tête. Il balançait entre dessin et poésie, couleurs, encre et calligraphie. Le texte comptait toujours dans ses peintures, soit qu’il soit gravé, tracé dans la pâte colorée, soit qu’il soit dessiné, juste griffonné comme un slogan. Une rigolade. Avec lui le dessin était un prétexte, un poème en devenir, un mot à faire figurer. 

 

Raconter et distraire

De New York ou San Francisco il avait rapporté l’expérience de la ville, du provisoire et de l’acte pour l’art. De ses découvertes mexicaines il avait gardé le goût des couleurs franches, des masques grotesques et des figurines en bois, disposées en petits théâtres bariolés ou en danses macabres. Boite à images pour une déclinaison autour d’un crâne, son art de l’estampe avait peut-être été inspiré aussi par l’imagerie « rasquache » des chicanos qu’il avait croisés en Californie. L’art de Jef puise ses sources au quotidien des quartiers, dans la fête et les expressions populaires plutôt que dans les musées ou les lieux consacrés à l’art et à l’étude. Jef était un raconteur d’histoire et c’est pour ça qu’il aimait faire des livres, remplir des carnets de dessins et de bons mots. C’était un bricoleur. Il aimait fabriquer des choses, construire, imprimer, assembler, copier, recopier, photocopier. Son attirance pour le chamanisme relevait certainement aussi du même talent d’observateur. Il était revenu d’Asie du Sud-Est impressionné par le bouddhisme et la sagesse simple des paysans qu’il avait côtoyés au Laos. C’est sur ces rivages du Mékong qu’il avait observé le travail du sel et la manière dont un tel élément pouvait marquer l’organisation de la vie tout entière. 

 

La route du sel

Cette histoire de sel a accompagné en effet le travail de Jef Gravis pendant les années qui suivirent. C’était au début des années 90’. Il revenait du Laos où il avait découvert un village saunier du nom de Ban Bô. Il avait rapporté des photos où l’on voyait la saumure soulevée des puits étroits dans des grandes nasses en vannerie. Il y avait des chaudières rudimentaires montées sur des échafaudages de bambou, dans la fumée les baraques aux toits de chaume. On voyait les villageois qui s’affairaient entre les sacs de sel, les rayons du soleil dardant à travers les cloisons à claire-voie, les armatures de bois noircies par l’humidité, les bacs d’acier, les tamis de paille et les sacs plastique… Cette découverte l’avait passionné. Il parlait de ces villageois sauniers en ethnologue autant qu’en plasticien. Il avait noté sur des calepins les rituels et cérémonies, les techniques d’extraction et de cristallisation du sel gemme. Cette industrie primitive l’intriguait autant que la sagesse bouddhiste de ces gens humbles qui répétaient des gestes anciens. il y avait une mystique du sel qui le fascinait, des génies légendaires et une religion qui passait par des autels dédiés aux esprits de la terre féconde et de la substance blanche extraite d’eaux profondes et troublées. Il avait décidé de se lancer dans l’inventaire des pratiques saunières. Ces recherches commencèrent en France, de Guérande à Aigues-Mortes en passant par Salis de Béarn. Il découvrira plus tard les rites yoruba liés à la récolte du sel. 

 

A longueur de temps.

Nous avions rédigé un dialogue à l’époque pour un projet d’installation dans une chapelle à Aigues-Mortes. Jef racontait ces gens rencontrés au Laos. Leur activité à la fois économique et rituelle. Il évoquait en peintre a blancheur du sel gagnée par l’ébullition de la saumure, l’odeur de la boue et des fumées âcres, les panières tressées où l’on recueillait le sel… Il me décrivait les pains de sel séché, vendus dans des étuis en plastique. Jef s’intéressait aussi au travail de corrosion provoqué par vent et la mer. Les vertus à la fois dévorantes et purificatrices du sel renvoyaient à une philosophie qui lui plaisait, où il devait retrouver les valeurs du temps et la conservation des corps. Il chercha longtemps un mode d’application qui permettrait à ce pigment essentiel de travailler lentement un support d’acier préparé. Ce pari dans la durée était ce qui l’attirait. Quelque chose d’énigmatique et libre. Jef confectionna des boitiers en acier proches de ceux de ses sauniers laotiens pour y verser de fines nappes de gros sel qu’il enfermait sous une vitre soudée. Ces boites vitrées pouvaient être manipulées et retournées comme des sabliers. Certains étroits emboitages étaient articulés en triptyques. Jef avait le goût des triangles et des retables. Pour d’autres, il prévoyait d’observer des variations chromatiques provoquées par l’usure, l’humidité ou la corrosion. Plus que l’objet fabriqué, c’était l’idée d’une contamination chromatique par la rouille qui l’intriguait. Dans d’autres encore, le sel allait faire apparaître peu à peu les graphies verdâtres d’une empreinte marquée dans la feuille d’acier. Nous étions au milieu des Années 90 mais Jef travaillait pour 2020 peut-être, pour plus tard en tout cas. C’était ses mémoires d’outre-tombe à lui ! Le travail sans fin de la matière était inscrit au cœur même d’un processus naturel où le temps pourrait à la longue imprimer sa signature. Jef était convaincu de proposer là une esthétique qui redonnerait à la nature un droit de réponse sur tout dessein artistique. Un coin de son petit atelier perché villa Ribérolle était devenu un laboratoire sommaire où Jef réalisait pour passer le temps, ou le voir passer ses expériences de chimie et ses sabliers livrés au subjonctif.  

 

Des livres.

Ce côté laboratoire allait bien à Jef qui se plaisait dans cette fabrique. Quand je grimpais parfois jusqu’à son étage, il me montrait les élevages de sel, ses croquis, des projets d’installations et toute une déclinaison d’œuvres en devenir. Il examinait chaque jour le comportement de ses semences salées comme un pépiniériste. Ces boites plates étaient comme des icônes finement serties sous des feuilles d’aluminium. Jef faisait partie de ces artistes qui travaillent volontiers assis à la lampe, avec tout l’attirail autour de soi. Il pratiquait le découpage et les montages d’images dans la tradition des graphistes pop’. Il intégrait les photocopies dans ses travaux comme, plus tard, il utilisera les images numériques dans ses dessins et ses collages. Travail à la table. Ses grandes peintures, elles-mêmes étaient souvent des assemblages, des bouts à bout ou des triptyques aux symétries architecturale qui répondaient aussi aux contraintes de son lieu de travail. Peindre, dire, Jef intégrait le mot dans ses images et l’image dans ses démonstrations. Le poème était même souvent prétexte aux illustrations sur papier. J’ai toujours connu chez lui ce goût de la graphie, du pliage, du dessin et du griffonnage. Le livre convenait bien à son mode de pensée et à ses imageries en palimpseste. Il donnera ce titre à plusieurs livres d’artiste comme pour les signaler d’abord comme des lieux de mémoire et de référence. Ses boites à sel auraient aussi bien pu s’appeler des palimpseste salicoles. La formule du recueil convenait à Jef. L’artiste connaissait les techniques de l’estampe et de l’impression. Son attrait pour le sel sauvage venait peut-être bien de cette cuisine-là, qui sait ? Gravure au sucre ou au sel, recettes apprises dans les ateliers de taille-douce qu’il avait fréquentés. Il y avait chez lui ce lieu commun du papier et de la possibilité du multiple, de l’image à distribuer. Quand il tomba malade, Jef réalisa plusieurs livres uniques composés de reproductions commentées de son œuvre. Pour qu’on se souvienne. Il intitula l’un d’eux comme du Ronsard : « Allons voir si… la mer est salée ». C’est une invitation au voyage. J’ouvre aujourd’hui cette brochure cartonnée qui me remémore. Ca parle de départs pour l’Asie, pour l’Afrique. C’est jubilatoire Jef y a reproduit des peintures, commentaires sur ses installations, toute une iconographie du sel.

 

Pascal Letellier

2016     

Pascal Letellier
Andoche Praudel

LA POESIE DE JEF GRAVIS

texte de Andoche Praudel, mars 2016

Il y a le personnage dégingandé riant de tout, le contact facile et prêt à toutes les aventures. Et puis, il y a l’artiste. L’un est mort, l’autre pas. Et pour nous autres survivants, les œuvres de Jef Gravis continuent leur chemin. On en aimait l’humour et la légèreté dès l’abord, mais plus le temps passe et plus on en voit le poids, comme si l’auteur en nous quittant avait laissé choir son fardeau, qui s’enracine et s’approfondit à chaque instant. Et son souvenir ne nous demande-t-il pas d’incorporer la légèreté à notre propre vie?

 

— « Tenez, vive la philosophie ; vive la sagesse de Salomon : boire de bon vin, se gorger de mets délicats, se rouler sur de jolies femmes, se reposer dans des lits bien mollets. Excepté cela, le reste n'est que vanité. » Tu connais ce texte?

— San Antonio?

— Non, Diderot, Le Neveu de Rameau.

— Oh là, je sais bien que c’est pas Don Quichotte!

Rires.

 

Car Jef avait une façon de pratiquer l’autodérision qui émoussait l’ironie, la sienne comme celle des autres. Un trompe-l’œil. D’où, je crois, son intérêt, pendant de longues périodes, pour la peinture figurative, et, à un moment donné pour le théâtre. Qu’est-ce que l’apparence, sinon un essai de mise en scène, jamais abouti? « Le peintre jette les poissons et garde le filet », dit Merleau-Ponty (). Peintre avant tout, Gravis feint n’avoir aucun souci, ne rien prendre au sérieux, semble vivre de rien, n’être responsable de rien, suivant avec enthousiasme la pente de sa rêverie. Mais il ne rêvasse pas! Il peut vivre à Paris dans un hangar non chauffé, faire du théâtre de rue à Mexico, avec Jenny Keguiner, sa compagne, vendre des sandwiches à Los Angeles, défiler à Paris pour Comme des Garçons sans cesser de peindre — sur des papiers trouvés, de contreplaqué découpé, de la ferraille, du verre, du plastique… Il fait tout de chic, s’étonne lui-même de ses trouvailles, le regard vif et le verbe haut. Il a vite fait de voir les possibilités du matériau où les autres ne voient rien, se rapprochant de l’Arte povera, mais avec la couleur en plus.

[photo 1 :Signe de tête]

 

Issu des Beaux-arts à une époque où l’on enseignait le dessin académique et le modèle de plâtre, Jef eut tôt fait de se débarrasser de ses acquis scolaires, comme tous ceux de la Figuration libre. Il n’importe, il y avait dans la main de ces artistes « un métier ». 

 

Or, c’est précisément la rupture qui va caractériser J.-F. Gravis, l’homme comme le peintre. Ses années de collège au Petit séminaire lui font envisager la vocation religieuse, et puis, non. Ses études aux Beaux-arts d’Angers? Il jette également le froc de peintre aux orties. Alors, il ne sera jamais l’homme d’un groupe ou d’une idéologie. Il y a en lui trop d’ironie pour cela. La première rupture est, d’ailleurs, celle du nom. Il ne prendra pas la suite dans l’entreprise familiale des Gravis, dont le nom signifie, grave, pesant, sérieux, accablant… Il conserve le nom, mais il en fait tout le contraire, un autre destin, non pas celui du latin, langue savante, mais du catalan, pourquoi pas? « Gravis », en catalan, a pris un sens actif, cela veut dire « tu graves »… Il est parfois important de se faire un nom.

— Mon fils, tu es un Gravis.

— Oui, père, on verra ce qu’on verra!

 

Ce fardeau secoué et, peintre alors, il naviguera à vue, pour reprendre le titre de sa grande fresque sur papier de 2009, éditée par Eric Seydoux (), il franchira les turbulences. En même temps, c’est un rempart contre l’isolement orgueilleux de l’artiste. Jef est un homme curieux du monde et des autres, toujours prêt à sortir de son atelier, de la rue, de la ville, du pays, du monde… et retour. En 1980, il emporte son « nuage à roulettes » — une boîte où les images peintes sur un rouleau de papier défilent par le jeu d’une manivelle, tandis que le ou les acteurs miment ou chantent la pièce —, au Mexique, {PHOTO 2} chante l’année suivante Le Dénicheur en Californie. Le Los Angeles de 1980 revient dans les bois découpés de 82, alors que l’artiste est rentré à Paris. Proche de Ricardo Mosner, et donc la Figuration libre, Gravis participe au clip des Rita Mitsuko, mais bientôt son intérêt pour les matériaux de rebut dépasse les chutes de contreplaqué des bois découpés et, prenant le matériau pour lui-même, il réalise la série Signes de tête, incluant fer, sable, plastiques dans la peinture. Il a vu comment avec quel génie les Africains récupèrent les boîtes de Coca pour en faire les compositions les plus folles, masques sans doute, mais aussi jouets, motos, instruments de musique, etc. Ce travail est donc bien plus qu’un effet retour de voyage…

 

 

[PHOTO 3, « Baracoa », sérigraphie]

Le passage par l’abstraction, vers 1990, est une étape importante. Le service que lui rendait l’ironie en lui permettant de détourner l’image, quelle qu’elle soit, visage, scène de rue ou de métro, est demandé dès lors à la vérité du matériau lui-même. Ce n’est pas la position du créateur de l’Art brut, qui fait feu de tout bois, avec les matériaux à portée de sa main, sans exclusion, c’est un travail conscient qui demande à libérer l’inconscient! Ce n’est pas l’attitude de l’Africain, qui joue de façon sophistiquée avec l’histoire du matériau, ses symboles. Avec Gravis, on est au plus près de la pensée d’un Gaston Bachelard:  « J’ai beau parfois toucher des choses, je rêve toujours élément. »

 L’imagination matérielle selon Bachelard, c’est la rêverie qui se compose au contact de la matière — rêverie et non pas raisonnement, c’est-à-dire que le peintre est aussi un rêveur de mots; or, l’inconscient mêle le subjectif et le collectif. Il y a dans le monde un ensemble de récits dont chacun détient, au plus profond de lui-même, une partie. La rêverie, à la différence du rêve ne se raconte pas, il faut l’écrire — ou la peindre.

 

[PHOTO 4: première image de la vidéo]

C’est ainsi que Jef Gravis, à partir de 1992, va parler le langage du sel… Il a en effet découvert la mine de sel de Ban Bo, lors d’un voyage au Laos, accompagné de Rose-Line Averbouch. Ce sont d’abord de curieux objets, un ou 2 kilos de gros sel dans une boîte métallique vitrée. Le temps fera remonter l’oxydation du fer, teintant les cristaux de sel. Puis, Feu délivré des eaux, 1995, chez Eric Seydoux, une suite de (?) sérigraphies grand format. 

 

Jef invoque une ancienne légende de Thaïlande: au commencement du monde, il y avait deux soleils, un bleu et un rouge. Le bleu fut absorbé par l’horizon, le rouge avalé par la mer. Alors l’eau se mit à bouillir pendant plus de sept ans, et c’est ainsi que la mer devint salée. Et, pour la mythologie de l’art contemporain: « Rêvant sur l’anagramme du nom de Marcel Duchamp par le poète Robert Desnos, « marchand du sel », je commençai à rêver sur la transmutation possible du sel en contact avec le métal. En immergeant un clou rouillé dans cette matière en grains, imperceptibles au premier abord, des formes nuageuses se révélèrent lentement, puis une longue phase de pigmentation colorée se produisait à la surface blanche du minéral, traces de vert émeraude, légèrement cernées de jaune soufre. Plus tard encore, des masses de couleur jaune orangé viraient au brun (…) Je fabriquais ces pièces en aveugle, laissant au temps qui passe et au temps qu’il fait le soin de réaliser ces tableaux à petite énergie ». L’artiste nomme ce travail Feu délivré des eaux. Des mots ainsi s’envolent, triangles d’étourneaux, entre poème-objet et et écriture automatique échappée à l’inconscient.

 

Le chlorure de sodium appartient à l’élément Terre. Dans le tableau des éléments de Mendéléiev , le sodium (Na) porte le numéro 11 et le chlore (Cl) le numéro17. Le monde peut se résumer à 118 éléments.

De tout temps les peintres ont convoqué la science. Etapes les plus connues: sciences de la perspective à la Renaissance, de l’anatomie, de la physique de la lumière à l’époque impressionniste… Et c’est sans doute une supériorité de la peinture sur tous les autres arts, elle peut se choisir les sciences qu’elle veut — quand, par exemple, la sculpture reste lettre morte sans la science de la pierre ou du bois, la céramique sans la connaissance du feu.

 

Or, connaître veut dire maîtriser. Il s’ensuivra une nouvelle série de travaux, Passage du grain, où l’artiste précise le langage qu’il a inventé tout en rejoignant la technique du fixé sous verre: la couleur du rouillé/salé vire, mûrit toute seule, mais en respectant un dessin préétabli, précis, peint.

Œuvres paradoxales, donc, puisque ce qu’elles figurent (par exemple un entonnoir) est bien une image peinte — l’image d’une chose absente —, quand ce qu’elles disent au sens propre, littéral, n’est autre que l’image du monde, en temps réel. Il ne s’agit donc pas d’empreintes. L’empreinte montre que quelqu’un ou quelque chose est passé! Dans ce travail de Jef Gravis, le temps est en train de passer. Il nous donne à voir la marche du temps. Le tableau est aussi puissant que la méthode est originale, car si l’on en restait là, au sens littéral, on se retrouverait avec l’image d’un insipide entonnoir… « Ce qui existe a toujours existé, d’abord en figure, puis en réalité », nous dit Saint Augustin et Pascal ajoute que, finalement, peu nous importe le sens littéral. Littéralement, notre condition est limitée, nous devons faire avec le prosaïque et le besoin matériel. Ce qui compte, c’est seulement le « figuratif », dit Pascal . Tout ce qui n’est pas Réalité est Figures… 

 

— Oui, je sais, dit Jef, qui ne veut plus entendre parler de Pascal depuis le Petit séminaire. Pascal prend un exemple: Inimici Dei terram lingent, « les pécheurs lèchent la terre », c’est‑à‑dire aiment les plaisirs terrestres. Tu penses aux vaches léchant une briquette de sel. Ce n’est qu’une image, dit-on, et, vois-tu, l’image en dit long, elle dit plus que ce que l’on entend littéralement, mon petit gars! 

— C’est-à-dire que l’œuvre d’art…

— Mais aussi l’image pieuse, la gravure de mode, la publicité! N’oublie pas la pub!

— … nous font lire entre les lignes.

 

Alors, pourquoi Gravis veut-il tout savoir du sel — puisque, finalement son propos n’est pas de nous convaincre des possibilités « plastiques » du sel?… 

Il nous le dit clairement, parce que, de la fleur de sel au sel gemme, des statues de sel de Gomorrhe au symbole tantôt de l’hospitalité, tantôt de la purification, le sel est présent à tous les âges de l’humanité. Parce qu’il est essentiel à la vie, le sel — sel des larmes et des transports amoureux — est figure du désir. D’où, bientôt, les sels érotiques: accouplements, vulve béante, seins érigés ne sont pas nouveaux dans l’œuvre du peintre, mais il était logique qu’ils reviennent comme signes. Comment comprendre la vérité de l’élément, fut-il minéral, sinon comme le mystère de la vie, mort et enfantement?

[photos 5 et 6: Couple bleu, avec date,+  Vulve sel}

 

Du sel de la terre au sel de la vie, le sel habite la langue qu’il figure. « Et la rouille fait monter la phrase peu à peu vers la surface du sel qui l’offusquait au regard ». Un aller-retour entre des temps futurs que l’on ne verra pas et la remontée du fond des âges. Vision cosmique et métamorphique renvoyant au corps de l’homme et à la relation entre macrocosme et microcosme. L’un ne va pas sans l’autre, avons-nous dit — dans un même élan insoumis.

 

Quand il s’agit précisément d’images figurant le monde réel, des personnages, « ce n’est pas du réel, c’est du réel trafiqué », dit, d’ailleurs, Gravis à propos de Navigation à vue (2009), sa dernière grande exposition. Il s’agit de l’installation d’une suite de panneaux, sérigraphiés en noir et blanc, avec, en faux-titre, des citations d’interviews de politiciens, des papiers collés à même le mur de l’Arthotèque d’Angers. « J’ai voulu placer des phrases sur des images, tout en sachant que ça allait passer au troisième degré, ou j’en sais rien… (…) Il y a là une situation narrative. Le symbolique ce sont les images, mais le réel, ce sont les phrases. Mais, comme les phrases sont celles de la langue de bois, ce n’est pas du vrai réel, c’est du réel trafiqué.» On comprend dés lors l’aspect dazibao, journal mural, de l’installation. Des mots qui remontent, comme en rêve.

[ photo 7: l’installation à l’Arthotèque]

 

Tableau ou objet, narration ou abstraction, il s’agit encore de rêverie. 

Qui dit rêverie cosmique, et à plus forte raison rêverie langagière, dit rêverie poétique. 

La poétique est enracinée dans l’ordre des choses et des matières élémentaires, qu’il faut connaître pour les mettre en œuvre. Or, au même moment, l’imagination de Jef Gravis le porte vers la profondeur des choses immémoriales. Le rôle du créateur est ainsi d’étendre la poésie en fouillant des recoins où nul n’était encore allé.  « On ne rêve pas profondément avec des objets. Pour rêver profondément, il faut rêver avec des matières »  précise Gaston Bachelard, car « la matière est l’inconscient de la forme ». Ce que révèle l’artiste, personne ne l’avait jamais vu auparavant.

[Photos, 7 et 8: Erotiques]

 

Alors, dans la vraie vie, l’artiste a besoin de femmes, d’enfants et d’amis. Dans le monde et dans sa tête, il a presque tout ce qu’il lui faut. Presque.

D’autres parleront mieux que moi de la vie sentimentale de Jef Gravis, qui ressort également du picaresque, mais c’est ainsi que l’amitié d’Eric Seydoux a pris toute son importance pour lui. Eric est graveur de métier, il est devenu éditeur et tous les artistes qui comptent dans ces années 80-90 passent par son atelier de sérigraphie. C’est ainsi que seront régulièrement publiées de suites de travaux que Jef réalise tout exprès, une œuvre graphique dont l’audace et la fraîcheur ne cèdent en rien aux œuvres d’atelier. En concentrant son attention sur le papier cette collaboration étroite, qu’aucun galeriste ne lui a jamais accordée, va donner à l’artiste une méthode et une continuité fondamentales, et ceci jusqu’à la fin.

[PHOTO 9: Tombé du ciel, 2003]

 

Revenons à Merleau-Ponty: «  le peintre jette les poissons et garde le filet. Son regard s’approprie des correspondances, des questions et des réponses qui ne sont, dans le monde, qu’indiquées sourdement, et toujours étouffées par la stupeur des objets, il les désinvestit, les délivre et leur cherche un corps plus agile. Étant donné, par ailleurs, des couleurs et une toile qui font partie du monde, il les prive soudain de leur inhérence : la toile, les couleurs elles-mêmes, parce qu’elles ont été choisies et composées selon un certain secret, cessent pour notre regard de demeurer là où elles sont, elle font trou dans le plein du monde. » 

 

Destin du créateur: à l’évidence, la vie d’un homme est plus fragile que la vitre d’un sous-verre. Mais, pour éphémère que soit sa durée, le temps d’une vie se décline différemment selon chacun. Si l’artiste ne suit pas sa vocation, il est déjà mort. Mais si c’est un artiste, alors, son regard ne traduit pas le réel mais l’invente. Et lui-même s’échappe par ce trou où il nous invite sans cesse. Pour toujours. Paladin à rire comme on pleure.

 

Andoche Praudel

Loubignac, mars 2016

Philippe de Puisaye

Contes de Vénus

roman de Philippe de Puisaye, mai 2018

 

Dans ce roman écrit en mémoire de Jef Gravis et Nicolas Keller, il y a un personnage d'artiste plutôt joyeux.

André Zémiri

SPOTS

texte de André Zémiri, novembre 2015

 

    Paris évolue, je l’aime le matin, Jef aussi, qui sait l’exprimer.

    Ca commence tôt. Au petit jour on balaie et allume les poêles de l’Académie Charpentier

    qui rétribue aussi en tickets d’atelier, séances avec modèle.

    Dessiner pour enfin, voir.

    Un  instant fabuleux ce jour là, ça drope des yeux au papier, joyeux , exact.

    Combien de temps si près de la chose ?  Jef l’a su, partagé.

 

    Moment léger que ce retour vers le « Studio de l’inutilité »,

    de l’intranquillité ?  où l’on bénéficiait à quelques uns d’une  jubilante fabrique

    de viatique et de boussole.

    Où « l’étude et la vie ne formaient qu’une seule et même entreprise,

    d’un intérêt inépuisable ».

    Où, malgré tout, si l’on oublie de fermer la fenêtre, les pigeons de la cour intérieure

    conchient vos dessins.

 

    Pour s’y rendre, un escalier en bois, tout droit, conduit au deuxième étage.

    L’ami Jacques nous l’a fait descendre sur sa contrebasse, parfaitement schuss ,

    réparation homérique chez l’ébèniste du premier.

    Au second, casbah d’ateliers. Saisissantes sculptures Inuit, en os, chez Szabo- le- proprio.

    Le peintre Watanabe dans sa cellule, « Je cherche l’Homme ! ». Claire Brétécher,  co- utilisatrice

    fugace de la bonbonne de gaz.

    Passagers, voyageurs, allées- venues, sonorités.

    Deux d’entre nous, Jef et Marcel, sortent de deux années de service militaire en Algérie, impôt exorbitant.

    N’en parlent jamais , reprennent la conversation et le  vis-à-vis, de plain-pied.

 

    Le soir, on s’habille.

    Tout d’abord, confection de vêtements et d’accessoires de cow-boys, en papier et en carton.

    Et on va au cinéma. C’est un western, Rio Bravo.

    Sur l’écran, Joe Burnett entre dans le saloon, s’accoude au bar. Un homme maladroit le bouscule.

    Burnett sort son révolver et le tue.

    Rires dans la salle.

    «  Mais c’est de la violence ! » s’exclame Jef, profondément choqué.

 

    « On a beau vouloir se taire, il faut parfois crier ».

    Il y a des vents contraires, mais pas question de replier les antennes,

    et celles de Jef sont particulièrement déliées.

 

    Au Louvre, les femmes « en talons » fixent à leurs chaussures des embouts de plastique,

    le musée s’inquiète du poinçonnage des parquets. Nous courons dans les salles,

    « notre héritage n’est précédé d’aucun testament ».

    Nom de Dieu !... ces heures à courir parmi les merveilles !

    Les amis musiciens, l’ouverture de « Parisian Thoroughfare »,

    on empoigne de Paris le droit de chacun à ses propres idées, à ses propos,

    à sa propre gueule.

    On mûrit à vue d’œil.

   

    Chez Georges Locatelli, à l’entrée du studio de musique, au mur, une sérigraphie

    de la série  Métro émet en silence.

    Il doit être tard, les rames sont moins fréquentes.

    Sur le quai, éros disponible, solitudes contigües, tout à la fois hiératiques et profanes,

    beaucoup d’options, en suspens.

    Un éclat de rire se dilate sous la voûte.

    Prédelle undergroud, la ville trouve l’occasion merveilleuse de se savourer.

 

    Jef herborise, en toute saison.

    Matin encore. 7-9, émission de France Inter, un journaliste aux questions récurrentes,

    ping-pongue avec une noria de « politiques » , de partenaires.

    Pendant un mois, Jef écoute, cueille des bouts de phrase et les dépose

    au bas de ses images.

    Elles sont assemblées à l’Artothèque d’Angers, où Joëlle Lebailly les reçoit et organise

    cette exposition imprévue.

    NAVIGATION A VUE.  

    Une frise en noir et blanc, dadzibao et  carrousel, court sur les murs de la galerie,

    un peu au-dessus de nos têtes.

    « Elle ne reflète pas la vie, non, elle est la vie même, sans jamais tomber dans la circonstance »,

    conviée par le peintre, « sans balise et sans valise », délestée.

    A-vif, un flux.

   

    Brouhaha de pré-vernissage , la voix un peu changée, Jef reprend une question.

    Les yeux rient. Impertinence élégante :

    Quand la peur gagne ?

    Moi je dis,

    il faut franchir les turbulences.  

    

      André Zémiri

      Novembre 2015

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